autobiographies #12 | Une vie empaquetée

Linogravure 2020

Il n’y a plus rien. Ce qui s’est empilé pendant 50 ans n’est plus. Distribué, gardé, jeté. Une vie empaquetée. Un corps en vie déplacé. Une maison relais ou l’on amasse les presque morts dont on ne sait pas quoi faire.
Je n’ai pas participé à l’expulsion. La douleur n’existe pas si on n’y est pas. Il paraît. Tenir à distance cette odeur, cette texture, contenu dans l’objet, dans la pièce. Ils voudraient contenir un ailleurs. Un brin d’accroche. Ils hurlent à la mort de l’oubli potentiel. Si plus rien, quand viendra notre tour, qui sera là ?
Les enfants sont-ils les testaments que l’on ne sait pas écrire ? J’ose clamer que je n’ai pas mis au monde pour conjurer la mort. J’y crois ferme. Oui mais. L’inconscient partout, jusque dans les désirs d’enfantement que l’on croit maîtriser. Une fois-là, braillant, à notre merci, nous ne savons plus ce qui convoque.
La peur compte-t-elle les ans avant désolation ? Les murs derrière le papier peint, derrière la fumée gitane, derrière les silences nous content-t-ils ce que l’on voudrait entendre, ce qu’on imagine se souvenir ou un débordement éphémère ?
Une enquête à la recherche de sens. S’il n’y en a pas peut-être est-ce vain de courir.
Les larmes ne vont pas s’évaporer par la preuve.
Les descendants de famille bourgeoise peuvent puiser dans les greniers de plusieurs générations. Pour d’autres, même Emmaüs ne saura pas chuchoter.
Je me construis des dialogues qui n’existent pas. Je prends possession. Rêve les mots en parcourant les objets.
Les erreurs balaient tout le reste. Pourquoi comptons-nous sans cesse à revers ?
Je n’ai pas nettoyé le frigo, entendu grincer le vide ordure, ressenti les derniers moments. La dernière chute. Je n’y suis pas retournée.
Depuis, une autre famille foule le lino, sûrement neuf. Après le retour des clefs, décapage. Un effacement. Un trou. De l’appartement à l’hôpital, à là-bas. Mourir aseptisé.
Doit-on économiser l’effusion ?
L’usure et les rides un matin en fumée. Des surnoms et de la tendresse qui décroche parfois l’émotion. Elle résiste mais on ne la voit plus. Plus vraiment.
Un couvre lit orange chenillé s’enroule autour de tes petites jambes d’enfants. Paralysé. Des cochons dés, sous le meuble des photos sépia qui ne raconte pas. Est-on capable d’aller au bout ?
La vieillesse rebut. Comment finir digne sans capituler ?
L’empathie se signe sur de vieux tissus.
Des draps, des torchons, gardés pour le cas où. C’est vieux, défraîchi, jauni. Emballer avec soin pour le cas où.
Je cherche les signes de voyages, de plaisirs. Je cherche les rires, la lumière. Je ne trouve rien.
Je cherche le cas où sur les rebords. Peut-être que les murs peuvent chanter ?

Je m’accroche
Je rejette la part orpheline
J’érige un mur de contemplations
Rien n’attend derrière
Même si je ne sais plus écouter
Tu ne peux pas partir
J’ai encore besoin de mots