autobiographies #08 | à Saidnaya

à Saidnaya, derrière les minces portes en verre coulissantes du meuble à bibelots, sur de petits napperons brodés à la main reposaient d’antiques pièces de monnaie ; autour d’elles une aura de sacralité ; certaines représentaient des statues de forme conique flanquées d’animaux comme des lions ou plus rarement des aigles ; elles faisaient surgir, de la matière presque animée, des empereurs romains (dans sa tête flottait la bataille de Charan, en Syrie du nord) ou des dieux grecs ; aussi des femmes dont les tresses cachaient des serpents ; d’autres pouvaient figurer des montagnes ou des fruits (on lui avait susurré une fois qu’il s’agissait, vraisemblablement, dans un cas, des célèbres pommes des Hespérides) ; à proximité, le  son du long cendrier vertical reposant par terre ; actionné par une pression de la paume de la main ;  qui était censé aspirer les cendres de sa pipe ancienne de couleur fauve ; signalait la fin de vie d’un tabac à l’odeur d’encens ; les reconstitutions dans son imaginaire d’enfant faisaient se croiser des guerres terriennes et navales ; soit, ailleurs, les naumachies italiennes lacustres ou des amphithéâtres ; elle s’endormait, les bras croisés, assise à la table dont la nappe, pour l’usage quotidien, était invariablement cirée

en Sicile san giuseppe parlait à travers la voix des récits; au moment de la sieste, les rideaux tirés, la bougie allumée ; quand il lissait de la main le grand couvre-lit blanc ; très haut, blanc et souple ; avec surtout dans ses mots la description des animaux ; (qu’étaient le bœuf et l’âne autour d’un feu) ; longue ; et toujours, à peu de choses près, identique ; elle lui disait : tu me racontes la même histoire ? mi racconti la stessa storia ?; oh il commençait ! ; le grésillement du foyer ; elle voyait ce paysage animal, de nature et de flammes ; un univers à lui seul tenait dans la voix lente et les yeux ; les quelques personnages ; et les bêtes ; dans la chambre carrée, silencieuse et sobre ; elle s’endormait ; leurs visages éclairés d’une lumière chaude par en dessous ; les mouvements des auréoles lumineuses telles des ondes à l’ odeur forte ; la mer n’était pas loin ; le flux et le reflux de l’eau ; de l’histoire dans la chambre

le matin, à côté de la table du salon, le four était chaud ; les tresses des biscuits à l’anis laissaient voir sous leurs nœuds des œufs ; colorés (pour pâques) ; de couleur pastel ; se mêlant à l’autre parfum pour ainsi dire permanent de la sauce tomate aux olives et aux câpres ; les tomates embaumantes de son magasin prises le matin dans les cageots ; qui fricotaient avec les oranges ;  la menthe ; la brousse fraiche de brebis ou de vache ; les fruits secs ; un univers à lui seul de nourriture dont on parlait déjà très tôt le matin ; dans la rue, les moyens de transport ;  transitant sur les quelques pas séparant l’épicerie de la maison ; la douceur jusque dans les murs odorant de gras ; de lard ; qui plus tard se disait-elle allait expliquer le sens du mot saynète ; soit cette graisse d’animal venant du latin saginum -on pense à saindoux- offerte dans un premier temps aux rapaces pour les attirer ; pareillement au théâtre : ces petits intermèdes plutôt légers et souriants entre les actes

A propos de sandrine cuzzucoli

Aime le temps suspendu en contemplant, lisant, dessinant, parlant, regardant le plafond, les visages, peintures, ciels.. Dans mes études passées mais encore présentes!: la littérature américaine, italienne, les beaux-arts, la traduction et d'autres choses depuis... Ecris en revue depuis environ 5 ans, dessine depuis plus, c'est un aller-retour constant un peu comme un Appel de la Forêt, le titre d' un des premiers livres de Jack London- que j'ai aimé!

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