back (#P10)

ce serait
comment ça va, quelle heure est-il quel temps fait-il j’aurais tant aimé cependant ; le poète et ses mots mis en musique par le moustachu, la pochette du disque était dans les ors, il y souriait, la semaine suivante ou celle encore suivante il chanterait à la Courneuve (elle était là, cette pochette, sur l’étagère en ferraille, à côté du tourne-disque – on disait chaîne – qu’on avait acheté(e) au Cent Mille Volts (le nom du magasin) – tu vois comme le temps passe) Tu fais quoi aujourd’hui ? Je vais me reposer, prendre un bain, je vais au CRT, l’eau chaude les vêtements posés sur l’abattant, la fenêtre au verre dépoli, dehors le jour et la chaleur qui commence à monter, il y a des choses que je ne verrai jamais tsais, par exemple ? Par exemple les persiennes de l’appartement de la rue de Marseille celui où vivait ma grand-mère, non celle de mon père, on l’appelait Mané, Mané c’était le diminutif de René, oui ils ont toujours aimé ça les diminutifs pas chez toi, je ne me souviens plus de chez elle j’ai oublié ou je ne veux pas le savoir – c’est quoi tes chaussures qu’est-ce qui leur est arrivé ? qu’est-ce qui LUI est arrivé tu veux dire, j’ai glissé entre deux wagons écoute j’ai même pas eu peur, ça a été réflexe je me suis retrouvé à genoux, il y avait le type que je croisai qui s’est tiré, j’ai récupéré ma pompe de justesse mais elle était toute pourrie de graisse, le contrôleur m’a donné un rouleau de pq pour que je me nettoie, enfin, la galère tout le trajet et une chaleur à crever, ça aurait pu être pire remarque ouais ouais – dans une baignoire sabot, il est difficile de tremper la tête entièrement les cheveux longs nécessitent des soins particuliers y’a pas de champoing ? Tu fais quoi toi, il est tôt je sais pas je vais aller voir O. je sais pas j’aurais dû ramener des croissants mais j’y ai même pas pensé – une petite chanson, du genre « un dimanche au bord de l’eau » il n’y a pas encore beaucoup de cinéma dans le paysage mais un peu quand même, il y a longtemps que passe le temps sur cette année d’armée qui viendra dans quelques mois, moins d’un an maintenant mais le frère de l’enquêteur y est parti à ce moment, on embauche début août chez ces saloperies de militaires, le premier août dimanche ou pas, jugulaire – quelques semaines, ils ne correspondent pas, ils ne se connaissent que par habitude, il me semble bien, il doit avoir en tête cependant les rattrapages de septembre aussi, quelque chose en arrière fond, un vague bruit une obligation, l’eau est chaude il fait bon il fait doux

ou encore
Tu vois marcher, avancer, tourner et porter, avancer encore, marcher sans vraiment y penser, un peu gris de fatigue, vaguement à l’esprit la suite de la journée, qu’est-ce que tu crois ? Rien, non, tu marcheras et monteras les marches – la porte que tu ouvres – la mezzanine à main droite, tu poses ton sac, enfin tu le lâches, il fait sursauter le monde – les deux sont là-haut, ce ne sont pas des choses à faire, vraiment, surtout que tu savais que je rentrais ce matin tôt merde, et après tu en auras quoi de plus à te foutre en colère ? vous faites vraiment chier, dis-tu, non comme dialogue tu repasseras pour le dialogue, il n’y en aura pas, ils font chier, elle et lui, très bien, tu as laissé choir ton sac dans l’entrée, sous la bibliothèque en ferraille que lui et toi vous avez montée ensemble, non ces trucs-là, tu sais bien c’est comme avec cet autre ami, un jour, vous construisiez un mur de pierres sèches après avoir posé les ardoises de la terrasse, ce genre de boulot qui ne fait peur à personne puisqu’on est unis pour le faire – ce genre de choses – vous m’emmerdez vraiment ! habille-toi, et dégage merde ! C’est le dégoût – ça aurait fait quoi, s’il s’était agi d’une file ? ou de sa femme à lui ? il n’y avait pas de « sa » ni de « femme » on n’en n’était plus là et c’était tant mieux : tu vois comme les choses sont revenues à leur état antérieur, précédent et pourri ? dis-moi, à quoi c’est dû ? le sida ? la gauche au pouvoir avec les cocos ? – une chanson devrait venir mais ce sera plus tard – Et tu sors, tu redescends, tu croises la Z., déjà levée pas encore cuite, les cloportes et le reste du monde, tu as envie de tout foutre en l’air – maintenant une chanson te revient, oh rosie mais elle n’existait pas alors – mais c’est ce que tu penses, dans la rue, c’est toujours dimanche, c’est toujours sept heures et quart, et toutes les secondes comptent pourtant, tu marches mais pour quoi faire ? Tu fais quoi, tu prends à droite ou à gauche, tu appuies sur le bouton de la porte, tu la tires vers toi, tu sors – il fait beau pour une fin de mois d’août, à droite un café à l’un des coins ? À gauche marcher vers celui qui fait un coin passer devant le cordonnier qui fait des chaussures sur mesures, tu regardes tes pieds, le mocassin noirci, ton pied gauche encore toujours au bout de ta jambe – c’était cette époque-là, tout nous était plus ou moins permis, il n’y avait pas spécialement de trahison ou de duplicité, de dignité ou d’adultère ou de ces salades de vieux cons dis moi est-ce qu’on l’est devenus – la liberté, y aurait-il quelque chose de plus beau ? (ou de plus faux ?) (respire… marche…) tu marches puisque tu as posé ton sac chez toi, chez vous – « l’dégoût d’quoi, jsais pas mais l’dééégoût », dira la chanson – non, oui, pas vraiment – attendre, marcher, rejoindre la place, prendre à gauche, passer devant les impôts continuer revenir – non, oui enfin pas vraiment, de dialogue, non, pas vraiment

ou encore peut-être
marcher avancer porter tourner, faire sonner le garde-porte (il n’y avait pas de code, il y avait une porte et une sonnette, il n’y avait pas de concierge), entrer dans le hall et le groom automatique fermerait au loquet, monter l’escalier, un puis deux puis trois étages, sur la première porte à gauche le carnet le crayon au bout de son fil (le téléphone alors n’était pas indispensable – on ne travaillait pas trop ni tant ni tout le temps mais on tapait dans les quarante cinq heures de cours par semaine, travaux dirigés compris ça se peut, mais ça occupe), la porte d’entrée et à l’intérieur, personne. On tombe le sac, devant la bibliothèque en ferraille (quelque chose de taxé chez l’employeur du voisin) (dans les verts militaires, une horreur) (mais il y avait donc des livres,les étudiés les lus les juste posés là) (il y avait la chaîne hifi – le tas de disques noirs qu’on achetait en bas de la tour, tombés du camion, des Deep Purple ou des Black Sabbath des Fleetwood Mac et autres, Bob et Neil, d’autres encore Janis ou Joni) (il y avait aussi des chanteurs, Léo évidemment Ferrat aussi pour son Aragon et d’autres encore) les tiens et les siens dans un même rangement sans ordre – un hasard et on cherche on ne cherche pas – est-ce qu’on se serait posé la question de savoir où pouvait bien être l’autre ? Il y aurait eu un morceau de papier, une page aussi bien du carnet, quelque chose qui aurait indiqué un lieu, une heure, un rendez-vous – au robinet de la baignoire sabot il y aurait eu de l’eau chaude, le bas du pantalon neuf le beige de la teinte le jour la fenêtre, les vêtements sur la chaise, le bruit de l’eau la légère vapeur – assis dans la baignoire, la tête contre le mur de faïence, au dessus la fenêtre au verre brouillé – des choses qu’on fait parce qu’on en a besoin – les croissants ne manqueraient pas et à son esprit il n’y aurait rien d’autre que bientôt, sans doute, quelques rêves non encore exaucés, quelques joies ou peines non encore vécues – on avancerait, tranquillement, sans ces coups-au-cœur, sans ces désirs et ces regards, sans ces haines et ces désespoirs – l’eau chaude diluerait les humeurs, il ferait bon et il ferait si doux

il y a trois façons d'arriver à la maison, je suppose - je lisais un propos de BMKoltès qui faisait : "Je suis comme un comédien qui aime porter telle paire de chaussures pour répéter. J'ai des petits trucs par exemple devant la page blanche. Mais c'est sans intérêt. L'écriture c'est avant tout une question d'instinct, de plaisir". On est toujours fondé à mettre en question ce que racontent les gens, c'est sans doute pour ça qu'on aime qu'on nous raconte des histoires, où rien n'est jamais vrai ni jamais faux - jamais non plus entre les deux : des narrations (c'est Barthes aussi qui voulait écrire un "roman" (qu'est-ce que c'est un roman ?) mais qui ne se trouvait pas assez "bon" pour ça. Au sens de Beckett sûrement. C'est aussi cette façon d'écrire pratiquement deux mille pages sur Flaubert tout en laissant le champ ouvert. Un truc un peu idiot, un aveuglement). La deux fut écrite avant la une et la trois pour finir (on peut toujours écrire des textes dans un ordre, un autre, et un autre encore, les reprendre encore et toujours). Au presque moment de clore cette participation, je vois trois ou quatre chantiers en cours durant ces années (j'aime beaucoup Norma, que j'aimerai intituler Morna) (ce jour est anniversaire) (morna, saudade c'est tout un) sans compter ceux que je voudrais régulièrement mener à bien (j'aime aussi beaucoup le parc) (il y a "vivre" qui reste en chantier) (tout est en chantier : dans les pays du sud (ceux du nord de l'autre continent, et d'autres encore sans doute) on trouve de très nombreux de chantiers de villas,l'État percevant ses taxes à l'achèvement des travaux). Ici aussi, faisant en sorte de pareillement ne pas fermer l'histoire, le sentiment de perdre un peu un certain contrôle (illusoire) envahit, mais comme il fait beau (septembre est un beau mois, cette année) et comme il fait doux...

A propos de Piero Cohen-Hadria

(c'est plus facile avec les liens) la bio ça peut-être là : https://www.tierslivre.net/revue/spip.php?article625#nb10 et le site plutôt là : https://www.pendantleweekend.net/ les (*) réfèrent à des entrées (ou étiquettes) du blog pendant le week-end

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