Carnet

Bus matutinal (mot plutôt de ma mère) et sens inverse on dit de la marche : toute la lune dans la vitre arrière. À l’avant, les places réservées en priorité 1) aux mutilés de guerre 2) aux aveugles civils. J’envoie la lune, ma mère répond oui hier elle était extraordinairement brillante. Et, mon petit frère, que la lune l’a empêché de dormir.

choses dont le souvenir n’est pas assez. La légèreté des sept ans, les chevilles en bas des pulls grands. Le froid ou le chaud qui faisait le tour du corps. Les os de sept ans.

Un poulpe sorti d’un soupirail et qui empêchait de marcher. Mon père. Et, juste après, ma mère: j’ai rêvé de B., on marchait le long d’une citerne et elle me montrait un chemin: c’est par là. Le rêve de mes parents à mon réveil. Le fils de B avait un lupus et ma mère m’appelait : autour de la citerne il n’y avait pas de chemin mais B m’en montrait un et je me suis dit peut-être qu’elle veut me montrer le lupus. Ma mère était sur le vélo d’appartement, et j’ai cru, parce qu’elle haletait un peu, qu’elle pleurait: mais maman arrête d’être toute émue ça fait peur maman qu’est ce qu’il y a. Avant de comprendre: tu es sur le vélo. Oui. Et tu sais à trente ans j’ai eu cette chose quand tu es née, d’hypertension, de 25 kilos d’eau pris, de toxémie gravidique et qui a fait qu’on a dû arrêter la grossesse. Oui mais maman ça c’était lié à ma naissance, enfin, à ta grossesse, et le lupus on a vérifié je crois pas que y’ait ça. Mon père a repris le téléphone pour un chagrin d’amour: tu sais après N, j’ai dû partir de la ville, tellement j’étais mal, alors je me dis est-ce que le départ de K., ça t’a pas brisée de l’intérieur? Mes parents. Présents mais pas pressants, riait, et les auto-proclamait, mon père. La veille ils avaient marché le long de la mer: mille méduses au fond de l’eau, on les voyait tout à fait! J’ai raccroché et suis sortie du lit, poulpe partout, mains, bras, épaules, pieds, genoux.

Ciel des Martyrs. Comme la rue pavée et piétonne descend, on dirait qu’il a toute la place, par-dessus les poulets rôtis bio, les brioches au potiron et les pains à la farine de sarrasin.

Une tête … | de moine sans dieu avec gros nez contrit d’enrhumé qui porte son rhume comme sa plus grande honte, mais donc aussi sa fierté la plus vraie. | de Madonne défaite, mille fois trahie, adossée pour toujours, tous les petits matins serrés froids, à sa propre écharpe qui lui double le cou et l’éclabousse dans un gros noeud aux bras courts. | d’étudiant chez Tchekhov, perdu en Cerisaie sans mur francilienne, lunettes d’or carré, et capuche qui nidifie sa vieille enfance.

A propos de Milène

Milène Tournier est une auteure de théâtre, poésie et formes numériques. ( L’autre jour, ed. Lurlure; Poèmes d’époque, préfacé par François Bon, ed. Polder; Nuits, ed. La p’tite Hélène; Et puis le roulis, Ed. Théâtrales). Elle a écrit une thèse d’études théâtrales « Figures de l’impudeur ». Elle partage ses vidéos poèmes sur Youtube et écrit « en direct » sur Facebook.

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