Double voyage #05 Bouvier le long du fleuve

Il m’avait expliqué et même fait une espèce de croquis avec quelques mots griffonnés à la va-vite… pour ne pas que je me perde dans ce lieu perdu que les journaux appelaient « la ville la plus abandonnée du pays ».

Aéroport
Aucun souvenir de ce lieu vide, construit par les Américains pour faciliter leur transport et celui de l’or.

Le fleuve
Il faut que je traverse le río Atrato d’un jaune boueux dans une lancha chargée de régimes de bananes et de tomates de arból pour quelques sous, serrée contre les habitants descendants d’esclaves.

La vieille drague
Sur l’autre berge, abandonnée là, une énorme machine à chenilles témoigne du passé aurifère du fleuve. Un de ces engins qui raclait le fond de la rivière s’est arrêté là. Plus d’or. On la dirait échappée d’une BD post-apocalypse, débordant de sa case gueule en avant, mâchoires ouvertes, elle exhibe ses dents acérées tel un monstre de fer et de rouille.

Doña Esther
Plusieurs femmes vendent fruits et jus bien frais. Je dois reconnaître Doña Esther d’un simple coup d’œil dans sa robe très colorée, élégante, elle se lève et confirme la description de mon ami. Très grosse, le haut de son corps tourne d’un côté alors que la partie basse préfère l’opposé. On dirait une double toupie dont la ceinture serrée autour de la taille actionnerait ce mécanisme à chaque pas. Elle me tend un jus de lulo frais dans un gobelet en métal.

Maisons sur pilotis
Je longe les cases sans portes, un simple rideau, une femme assise sur le perron, des enfants dépenaillés et ce bleu lavé, délavé de parois, des fenêtres, de châssis, et parfois comme un sursaut, les planches de la façade de la maison entièrement peintes d’un turquoise pâle, avec toujours en dessous de la gouttière l’énorme bassine de fer blanc.

Le marché
Fruits exotiques, jamais exportés, mais consommés sur place, pèches de palmier, lulos, tomates de arból et d’autres dont je ne connais pas le nom ; plantes médicinales à foison – vaut mieux parce que la malaria tue beaucoup dans cette région – aloé vera en bouquets, cannes à sucre, poissons séchés bien alignés sur le sol.

Le parc
Un sol en ciment, deux balançoires cassées, des restes non identifiés de jeux et très espacés quelques pauvres palmiers ébouriffés marquent les contours du parc, pas un enfant.

L’hôpital
Pas d’hôpital, celui-ci clos depuis plusieurs années, oublié des Américains de la South American Gold Company ou de l’International Mining Corporation of New York, une fois leurs affaires faites.

La maison d’hôtes
Je me sens observée, une maison sur pilotis toute pimpante bleu pâle à un étage m’attend, toute la famille se penche au balcon pour voir arriver la Française. Je lève la tête et souris.

2 commentaires à propos de “Double voyage #05 Bouvier le long du fleuve

  1. Merci Brigitte pour votre passage sur les berges du ce fleuve du bout de monde. Souvenir d’un voyage vieux de 40 ans que Bouvier a réactivé.