En boîtes

Il est là. Il n’est pas arrivé là. N’a pas jailli. Pas même né là. Ni été placé ou enfermé, ni oublié. Aucune explication. Il est là c’est tout. Il sent qu’il a une patience d’escargot. C’est fermé, pas de lumière ? Qu’à cela ne tienne, « Je fais mon mucus et j’adhère ». C’est un spasme qui lui révèle en partie sa consistance. Bruit de carton, frottement de son contour à 6 parois. Il est un volume, plutôt mou, capable de se tenir en boule. Il est englobé tout entier dans ce qui doit être un cube. Il adhère à tous les côtés, sauf aux coins. Il y a ces 8 petits espaces d’air qu’il ne remplit pas, c’est sa liberté à lui, l’écart qu’il met avec le monde et qui dit sa limite. Il est bien. Et puis, d’un coup, il a cette curiosité, comme ça. C’est son premier mouvement volontaire. Du bout du doigt il pousse le carton et l’enfonce. Trou. Appel d’air. Aussitôt l’envie. Il tend son dos, l’arque, écarte les coudes, repousse les parois et se gonflant fait craquer la matière qui se déchire. Il s’étend. Très peu, il n’en a pas le loisir. Ses membres libérés se heurtent aussitôt à d’autres parois, très proches. Où qu’il touche, elles l’entourent. Deuxième carton. Il entend un écho d’un autre monde et sursaute : « vous vous rendez compte, elle a fait les cartons de sa fille pour qu’elle emménage avec son propre mari, tout de même c’est pas malheureux ?! » Mais ça n’a cours que là-bas. Dans un autre carton qui sait? Lui, il en est à sentir sa nouvelle matérialité expansive et ça l’occupe bien assez. Le contact avec l’air, le vide, la caresse. Une liberté qui l’affaiblit et le blesse autant qu’elle le fait frémir. Il s’arque encore, déplie légèrement ses jambes, sent l’air derrière ses genoux, déplie ses bras, sent l’air dans le creux de ses coudes et pousse les cloisons. Troisième carton. Il se redresse, la tête courbée par un plafond. Quatrième carton. Il voit clairement la boîte. C’en est assez de ces poupées russes qui se rient de lui. Il le dit. Pulvérisation du décor aussitôt supplanté par une brume.

A propos de Scorreyeur

Écrire, danser, faire écrire, penser : ça c’est consubstantiel. A côté, il y a eu de belles frivolités (le journalisme, quand il était engagé), des amours gémellaires (la philosophie, de 5 ans à la maîtrise), et la passion à la vie à la mort pour la littérature. Aujourd’hui elle emmène les autres sur ses chemins d’écriture et elle s’étonne chaque fois de ce qu’ils lui donnent en retour. Elle enseigne à l’université de Cergy-Pontoise, entre autres « l’animation d’ateliers pour publics à besoins spécifiques » et elle explore : création littéraire numérique et transmedia, écriture collective, hybridité des arts et des langages, écritures du travail, etc.

3 commentaires à propos de “En boîtes”

  1. Tonique ! j’ai toujours tendance à me méfier des points d’exclamation, et voilà que je t’en rajoute ! écris plutôt deuxième troisième quatrième huit etc, ça donnera plus d’homogénéité pour la lecture linéaire…

  2. Rétroliens : Des hommes comme des mondes – Tiers Livre, explorations écriture