#enfances #03 | Action ou vérité

Saute.

Ils ont tous sauté. La peur me donne envie de pisser. Je peux pas sauter.

Je sais pas sauter, ni glisser sur un toboggan, ni… faire claquer le soutif des filles, ni les éclabousser à la rivière… quand elles se fâchent, je crois que c’est pour de vrai.

Sauter, s’écraser. Où ça s’arrête quand on tombe ? Je vois bien qu’on retombe sur ses pieds, mais je pense : trou, gueule, puits, gouffre.

Mon ventre se contracte, mes couilles se rétractent. Il y a les filles en bas qui me regardent. Elles se marrent.

Ce soir-là, sous la tente, on le laisse entrer dans le cercle et, à la fin, quand le jeu s’épuise, on se tourne vers lui. Action ou vérité ? Il  choisit vérité. Une fille lui demande gentiment, comme pour ne pas le blesser : t’as déjà embrassé sur la bouche ?

On ne lui demande pas, à lui, s’il met la langue.

Mais pourquoi retourne-t-il au mur d’enceinte cette nuit-là et toutes les autres nuits ? Je le vois montant à l’échelle du verger, s’asseyant prudemment sur les pierres encore chaudes. Ses pieds pendent dans le vide du côté de la forêt, mais rien n’indique qu’il se prépare à sauter.

Et s’il sautait dans le taillis de ronces au pied du mur ? Il retient le saut, mais en prolonge la première impulsion. Devant lui, des arbres dont il ignore le nom bruissent dans la nuit. Et puis : il y a les bêtes.

Pourtant, le liseré bleu au-dessus des collines est un appel. Mais comment y répondre ? Ses ongles s’enfoncent dans le mortier du mur. Et ne dirait-on pas qu’il veut mordre ? Il n’oubliera pas le mouvement de ses mâchoires.

Le dernier soir, ils ont mis de la musique. Je retourne au mur. La fille au poncho rouge et aux cheveux courts est assise à ma place. Je l’appelle coquelicot. Les autres, galette, parce qu’elle a pas de seins.

Je m’assieds à côté d’elle. Coquelicot ne tourne pas la tête. Elle regarde devant elle.

Tu danses pas ?

Non.

On saute ensemble si tu veux ? Elle me prend la main et m’entraîne.

Dans les ronciers, elle dit : T’as déjà embrassé sur la bouche ?

A propos de Pedro Tarel

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Un commentaire à propos de “#enfances #03 | Action ou vérité”

  1. Étonnant ce texte, je me dis c’est lu relu rerelu ce côté initiatique et la figure de l’adolescent en retrait est un personnage qu’on retrouve régulièrement, c’est un peu l’exercice que nous avons eu cet été avec les paysages archétypes. Pour autant cela fonctionne très bien, l’enchaînement des points de vue est fluide, presque cinématographique et il y a une forme de délicatesse et d’économie dans la langue, on ne sait rien du lieu ni des personnages, quelques perceptions, et on n’a pas besoin d’en savoir plus.