#enfances #04 | coqueluche

Les contours d’un état. Celui qui laisse à l’intérieur une forme de coquille, un mot. De quoi rappeler tout le reste. Être malade ou avoir la maladie. Il faudrait savoir. Celle dont on parle en chuchotant. La dangereuse. Être là, à retourner dans tous les sens le mot qui vient de remonter en forant lentement un tunnel étroit. Ils l’ont prononcé.  Avoir la coqueluche. Être la coqueluche, sûrement pas. Elle est retenue dans la chambre. Contagieuse. C’est comme avoir la peste, avoir mal là où ça respire, là où ça vit, redouter la prochaine quinte. Compter jusqu’à cinq. A la quinte, le coq va chanter. Ou plutôt siffler, comme la toux qui déchire tout sur son passage.  Dehors c’est l’été. L’été c’est beauté du domaine en fièvre tandis qu’elle est condamnée à vivre en pleine chair la chaleur qui cogne à l’intérieur. Impossible d’échapper à la canicule du dedans. Rien pour rafraichir, repartir à l’extérieur. Elle n’aime pas l’été qui la prive de lui.  Devenir l’attente de la prochaine salve, de la prochaine secousse. Être sous haute surveillance. Elle ne pose jamais de questions puisqu’elle invente toujours les réponses avant mais cette fois on se demande où elle est encore allée chercher ça :  elle dit que ceux qui ont la coqueluche dans les hôpitaux sont placés dans une grande coquille Saint Jacques où ils sont soignés, une fois immobilisés dans cette enveloppe spéciale. Tenter de la comprendre :  les poussées de fièvre sont forcément à l’origine des inventions délirantes. Ou alors il faut peut-être lui retirer les livres, elle exagère avec ceux qu’elle étale en cercle sur son lit comme barrière de corail pendant qu’on lui pose des cataplasmes à la moutarde qu’elle goûte pour voir. Ou des ventouses, petits pots de verre retournés qui aspirent sa peau et le sang dessous, il parait que c’est pour extraire le mal logé quelque part dans le thorax. Il faut retirer les pots renversés mais surtout pas les livres. Dire au coq de ne plus chanter. Il ne chante pas au petit matin, il tousse, il s’épuise, son beau plumage doré ne brille plus du tout. Elle lit quand même, s’étonne de voir la princesse cracher des diamants ou des perles près de la fontaine.  Le verbe cracher et les pierres précieuses ne vont pas ensemble.  Elle serait plutôt celle qui crache des grenouilles et des vipères gluantes ; pourtant ce n’est pas une méchante, elle n’a rien fait de mal, elle a mal.  Les kobolds ne sont jamais loin : pas très beaux, mais eux au moins jouent avec elle puisqu’il faut être patiente en attendant la prochaine attaque. Elle est patiente. Comme la comtesse Berthe, elle donnera de la bouillie au miel à ceux qui l’aideront à reconstruire son corps ruiné.  Son corps : une coquille toute blanche, un creux nervuré, beau à voir, avec un trésor dedans quand brièvement le coq dort sur son perchoir.

A propos de Christine Eschenbrenner

Génération 51.Une histoire de domaine perdu, de forteresse encerclée, de terrain sillonné ici comme ailleurs. Beaucoup d'enfants et d'adolescents, des cahiers, des livres, quelques responsabilités. Une guitare, une harpe celtique, le chant. Un grand amour, la vie, la mort et la mer aussi.

2 commentaires à propos de “#enfances #04 | coqueluche”

  1. La toux qui déchire, attendre la prochaine quinte, la canicule au dedans, le coq qui tousse, les inventions délires, les contes, les princesses qui crachent des pierres précieuses et la métaphore finale avec cette superbe phrase : « Son corps : une coquille toute blanche, un creux nervuré, beau à voir, avec un trésor dedans quand brièvement le coq dort sur son perchoir. » Très beau. merci.