#été2023 #16 | Histoire sans histoire

Pour en finir avec cette histoire sans histoire :

  • Parce qu’on et peu de chose, rendez-vous pris jeudi prochain de la demi-journée d’études de l’Atelier de poétique et théorie littéraire concernant les Questions énonciatives, une petite remise à niveau en la matière ne serait pas inutile. Au programme : « Question de circonstance » (D. Rabaté), « Philosophie du moment des années 1960 au prisme de l’énonciation » (M. Vallespir) et « Empathie et point de vue » (A. Rabatel). Évidemment, impossible d’y assister puisque c’est une journée dédiée à la structure. Mais comme on dit que c’est l’intention qui compte… On peut aussi se consoler en essayant de répondre à cette question : en quoi l’image d’un Mobile d’Alexander Calder (1970) illustrant l’affiche de la demi-journée d’études représente-t-elle des questions relatives à l’énonciation ?)
  • La plupart des personnages relève du théâtre de Guignol. Ils apparaissent de façon ponctuelle et n’ont guère plus d’étoffe que des chaussettes qu’on fait parler grossièrement avec les mains en prenant une voix caricaturale. Trois petites tournures et puis s’en vont. Sauf ME, qui revient régulièrement. Mais pas sûr que son étoffe soit si différente des autres. Peut-être est-elle un peu plus épaisse, plus solide, plus douce, avec un peu plus de chair, de corps. Mais c’est aussi un personnage plus énigmatique. Si derrière les initiales se cachent un prénom ou/et un nom, elles ne cessent en même temps de brouiller les pistes de l’énonciation dans la mesure où elles mettent fortement en avant, du fait des majuscules, le pronom personnel qui alors représenterait le narrateur. Et puis, justement, il ou elle, aucun pronom ne représente ce personnage, ce nom qui n’en est pas vraiment un (sauf une fois, dans le texte fou où des personnages racontent ce qu’il se passe quand leur auteur ne s’occupe pas d’eux, il est possible que le pronom caractérisant le genre de ME relève d’une projection fantasmatique). — Et alors quoi ? on change de chaussettes ? de matière, de motif ou les deux ? on essaie avec des gants ? ou à nu ? avec plus de chair, de corps ? — Et sur un plan pratique, ça suppose de faire quoi ?
  • D’un côté, un texte très oral la plupart du temps, un monologue sûrement intérieur, souvent brisé par des points de suspension, des blancs, des trous plus ou moins longs (le flot de la pensée, qu’on dit continu, n’est ni linéaire ni régulier dans sa vitesse et son intensité, ses colorations — et alors pourquoi ne pas employer le vers libre et des sauts de lignes intempestifs au lieu de poursuivre en bloc-paragraphe ébréché ?) De l’autre côté, des listes. De petits paragraphes en série. Ce dispositif vient de Gabrielle Filteau-Chiba, Encabanée : un récit en forme de journal, des textes fragmentaires suivis d’une ou deux listes à items souvent très courts. En comparaison, mes items sont parfois plus longs et développés, on pourrait les considérer comme des pistes de récit demandant encore à se déployer. La question serait de savoir si, dans la mesure où elles constitueraient de véritables parties du récit, ses pistes pourraient être conservées telles quelles, par exemple dans le journal dont il est question quelque part.
  • Quand on n’a pas une idée claire du résultat, quand on ne sait pas par où continuer, on peut tout simplement revenir par où on a commencé, relire, procéder soigneusement aux corrections (mots oubliés, erreurs d’orthographe, accords grammaticaux — ah… les sujets (dis)joints par ou, pour un verbe au singulier ou au pluriel —, ponctuation maladroite, expression malheureuse, concordance des temps, etc.) sans trop céder néanmoins au bon usage, établir les index, les tables et les liens utiles (une bibliographie ?). — Et comment, alors, dans cette perspective critique, faire sentir, donner à voir, l’écoulement du temps, le vieillissement de l’écriture, l’à-venir du livre ?
  • Pour l’énonciation en général, on repassera. C’est un casse-tête.
  • Combien de personnages chaussettes manquent à l’appel, simplement parce que leur nom (un surnom) a été oublié ? Et les visages alors ?
  • Un personnage avec plus de chair, de corps, plus incarné sur le plan de l’écriture, c’est celui à travers quoi les phrases auraient du chien. Qu’on le décrive comme si on regardait une photo de famille, qu’on raconte le moindre de ses faits et gestes, qu’on présente ce qu’il pense, ce qu’il ressent : c’est toujours la chair, le corps, le feu de la langue (et pardon pour ses images, quand il faudrait parler de mot et phrase sur texte) qui transparaîtrait.
  • Autant les listes conservent une certaine unité (en dépit des troubles de l’énonciation), autant les monologues me font l’effet inverse (du fait des différences de ponctuation). C’est qu’il ne s’agit peut-être pas de la même voix, comme dans le texte fou où se relaient celle de l’étudiant en Sciences (bien malgré lui) et celle de l’étudiant en Lettres (bien malgré l’autre). Faut-il gommer ces différences, ou bien au contraire les accentuer, amplifier les voix en présence ? (Est-ce que ME a pris la parole ?)
  • Parler un peu plus de l’atelier d’écriture en Sciences. Il a été question du lieu et de l’animateur, mais pas du groupe de participants, un peu du déroulement, mais pas de ce qui a pu se dire. Creuser le souvenir jusqu’à l’imaginer. Inventer les dialogues, en commençant par les mots de l’animateur pour l’effort et la motivation, comme : « Prendre confiance en soi-même, mener un projet jusqu’à son terme, découvrir que ce qu’on pense et ce qu’on dit cela peut être considéré comme précieux par d’autres, redécouvrir pour soi la richesse que c’est, de s’expliquer avec une feuille blanche : cela est peu, sans doute, dans ce rude chemin qu’ils vont bientôt affronter. »
  • Pour le petit peuple des personnages chaussettes, Henri Michaux ou Muppet Show ? Et quel roi en guenilles dans un château de carton-pâte ?
  • Rappel : ce n’est pas parce que l’ensemble est lacunaire et hétéroclite, et que les personnages forment au mieux une communauté fantomatique d’errants se croisant rapidement sans jamais se rencontrer vraiment, que les textes ne constituent pas un tout cohérent, ou du moins qu’il n’y a pas en eux un fil de cohérence se manifestant de point en point, par écho, par résonance, et n’ayant de cesse de se dérober à la conscience de l’auteur, un peu comme le furet de la chanson enfantine va de main en main le long d’un fil — ce qu’Elsa Triolet dit aussi, en sens inverse : « Même lorsque le romancier croit prendre les choses fermement en main, qu’il a préparé un plan, que l’affabulation est entièrement préméditée, qu’il connaît tous ses personnages et tout d’eux, qu’il se met à écrire en fonction de tout cela, même alors ses personnages le mènent autant qu’il les mène. Ils ont leur logique, ils choisissent de poser leur sabot comme un cheval intelligent. La logique du roman-entité — et aussi bien une logique déboussolée — entraîne le romancier à faire l’école buissonnière. »
  • (De la liste, sous l’espèce du journal, à la partie de récit relative à la vie de celui qui tient le journal, comment faire que les échos soient aussi troublants que brouillés, amplifiés par déformation et refonte comme dans un rêve incohérent ?)
  • Il y aura aussi une nouvelle séance du séminaire Perdre le monde. Deux interventions, avec des spécialistes de la mise en récit des connaissances scientifiques, et des migrations des vivants humains et non humains : « Entre utopie et solastalgie : progrès technoscientifique et environnement » (R. Barontini) et « Recycler le monde. Une lecture des vies “encampées” » (M. Grange). Mais c’est encore un jeudi.
  • Dans la ronde des animaux : le ragondin (René, personnage chaussette fabuleux, un roi ?), des pigeons clopin-clopants, des chats de gouttière, des insectes domestiques (mouches vertes, moustiques tigres, araignées du plafond, blattes à part), quelques monstres aux plantes, un chien ? — manque : les chiens d’aveugle, les rats (battus par les pigeons), les oiseaux qu’on entend sans les voir, de rares animaux exotiques et d’autres trop humains.
  • Il va de soi qui est entrevu ici, et qui relève de la simulation, participe, d’une manière ou d’une autre (selon un principe stéréographique ?), de quelque chose à l’œuvre dans le livre, avec les personnages, ME et les narrateurs en particulier à la table de travail, par les souvenirs, depuis longtemps dans l’intervalle des années d’études entre les Sciences et les Lettres. (Mais pourquoi il en va de soi ?)

A propos de Will

Formateur dans une structure associative (en matière de savoirs de base), amateur de bien des choses en vrac (trop, comme tous les grands rêveurs), écrivailleur à mes heures perdues (la plupart dans le labyrinthe Tiers Livre), twitteur du dimanche sur un compte Facebook en berne (Will Book ne respecte pas toujours « les Standards de la communauté »), blogueur éphémère sur un site fantôme (willweb.unblog.fr, comme un vaisseau fantôme).

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