#été2023 #01 | chambre

J’écris ceci dans une chambre au plancher en bois de châtaignier, lattes de 70 ajustées à l’ancienne il y a un siècle et demi. Quand je m’y déplace ça craque sous le pied. Toujours aux mêmes endroits. Je finis par les repérer. Il y a tout ce qu’il faut pour écrire, crayons, papier brouillon, carnets, ordinateur, mais j’ai du mal à rester assise à la table qui sert de bureau. Impossible de glisser les jambes dessous complètement à cause de barres en métal à hauteur des genoux, donc jambes repliées ou alors enfilées par-dessus. Posture bancale. La situation est provisoire. D’ici quelques mois j’aurai un autre bureau. Deuxième possibilité : m’installer sur le divan aux coussins colorés. Le meilleur atout du lieu reste ses deux fenêtres même format équipées de volets en bois et aussi de rideaux électriques. Je peux gérer le flot de lumière en fonction du ciel et des moments de la journée. Je peux aussi établir un courant d’air avec la pièce voisine et l’escalier pas loin quand je veux. L’été approche, parfois il fait chaud. Le paysage est présent à chaque instant. Pas de dérangement. La route est peu fréquentée. L’écriture et le paysage m’absorbent entièrement. Souvent le temps se dissout, aucun souvenir de son déroulement. Quelques tableaux aux murs. Des statues de bois noir qui regardent loin. Peu de livres. Peu de livres parce qu’ils sont rangés… oui on sait. Écrire pourquoi faire ? On me l’a demandé encore récemment. Chaque chose en son temps. Les mots qui viennent ces jours-ci parlent de ça sans doute, trahissent le réel, parlent des gestes, des rites et de la naissance des histoires. Le chant des oiseaux se répand de tous côtés, m’accompagne, ne me distrait jamais. Agréables créatures douées de vol et réclamant peu. Et là, je peux écrire assez longtemps si je cesse de penser. Juste écrire sans but sans resserrement. Juste la sève et la saveur. Et il me prend des rêveries de voler par-dessus le petit étang que je peux voir juste en face.

Photographie ©Françoise Renaud, au jardin, 14 juin 2023

A propos de Françoise Renaud

Parcours entre géologie et littérature, entre Bretagne et Languedoc. Certains mots lui font dresser les oreilles : peau, rébellion, atlantique (parce qu’il faut bien choisir). Romans récits nouvelles poésie publiés depuis 1997. Vit en sud Cévennes. Et voilà. Son site, ses publications, photographies, journal : francoiserenaud.com.

25 commentaires à propos de “#été2023 #01 | chambre”

  1. De tous ces détails qui nous guident, nous libèrent, nous inspirent, mettent en ordre nos pensées. Le début de ton texte me rappelle un livre d’un écrivain japonais lu il y a longtemps (je ne me souviens ni du nom de l’auteur ni du titre du roman). Il était question d’un vieux plancher en bois dont le personnage tentait vainement de percer le mystère. Il essayait d’en cartographier les grincements mais certains disparaissaient quand d’autres apparaissaient sans qu’il n’arrrive à savoir pourquoi. C’est peut-être ça l’écriture, un vieux plancher en bois qui grince, parfois de facon inopinée, comme un instrument de musique capricieux que l’écrivain tente de maitriser.

    • Quelle belle image, évidemment non préméditée, qui se développe dans ton œil de lecteur
      on dirait bien que le roman va s’écrire presque tout seul !
      Je vais écouter mes planchers avec plus d’attention pour ne rien rater de leur inspiration…
      Merci JLuc

  2. Rien à voir avec la quiétude champêtre de ton lieu d’écriture, j’ai gardé le mot “plancher” en tête pendant un long moment et aussi l’idée de “traverser”, traverser le plancher avec l’écriture. L’impossibilité de t’attabler confortablement (quelque chose en travers) fait douter des conditions totalement favorables à l’émergence d’une écriture, malgré le désir d’écrire et la sensation de pouvoir le faire si s’arrête la pensée. Quête paradoxale du vide de tête pour loger le trop-plein des chants d’oiseaux pourtant complices. Cette chambre vibre trop. Et soudain je pense au Plancher de Jeannot, qu’il a gravé dans sa piaule et qui a été catalogué comme Art brut. Mais lui était malade et se sentait persécuté, ce qui ne correspond pas à ce que tu racontes. Les planchers sont de drôles de caisses de résonnance pour essayer d’entendre les sons de vie que la tête veut écrire. Tu connais cette histoire ? https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Plancher_de_Jeannot

    • J’adore cette idée de traverser le plancher, de saisir son langage… tu m’ouvres là de vastes pistes
      Merci pour ton regard et le lien vers Jeannot le Béarnais dont j’ai déjà entendu l’histoire et dont je viens d’aller voir d’étonnantes images…
      (petite note : ce JE n’est pas forcément moi bien sûr….)

  3. Comment fais-tu ? on est immédiatement avec toi dans la « chambre au plancher en bois de châtaignier » attentive.if à chaque détail, à la lumière, à la présence du paysage. On sent bien que l’écriture est là, depuis longtemps, quel que soit le lieu.

    • j’essaie de ne pas me disperser, de rester dans un petit espace, de poursuivre dans le cadre qui se propose… et je tente de me glisser là…
      merci Muriel, tu m’encourages à poursuivre dans le détail… on verra ce qui se passera

  4. « Juste la sève et la saveur »
    tes écrits témoignent toujours de cela, de cette captation délicate et dense à la fois

  5. Oui, le plancher, qui peut en parler mieux que toi, la matière toujours, la décrire… « Et là, je peux écrire assez longtemps si je cesse de penser. Juste écrire sans but sans resserrement. Juste la sève et la saveur. » Je voulais relever et copier le Juste écrire sans but sans resserrement, mais impossible de se priver de ce qui suit et pas non plus de ce qui précède. Tellement beau.

    • Que de beaux commentaires aussi sous vos yeux amicaux, attentifs et désireux de lire…
      tellement important ici — dans ces ateliers — ces retours sur matière qui nous aident à tenir le fil et à poursuivre sans nous préoccuper de résultat…
      juste se tenir là où ça se propose
      merci Anne de souligner cela

  6. Je l’écrivais ailleurs : ce que j’apprécie, chez Françoise Renaud, c’est la simplicité. On arrive : on visualise, on situe, on ressent. Avec bonheur.

  7. J’aime beaucoup » les statues de bois noir qui regardent au loin ». Au delà ou à travers les murs ? Sentinelles dans cet espace à la fois inconfortable et propice ?

  8. Françoise,
    J’ai pris plaisir à vous lire.
    A découvrir vos espaces d’écriture, avec ce qu’il y a d’inconfortable comme les barres en métal de la table ou ce qui accompagne l’écriture, lui donne de l’élan comme les coussins colorés du divan, le calme de la route peu fréquentée, la possibilité de faire courant d’air, le chant des oiseaux…
    J’ai aimé sentir le plancher craquer sous le pied. Ce que ça fait remonter comme souvenirs, comme lieux où le plancher craquait lui aussi sous mes pieds.
    Merci.

  9. Il y a ce plancher inspirant et puis cet étang tentateur dans ce lieu idyllique pour écrire, je me demande ce que tu vas faire de ces deux lignes de fuite! (ou d’avancée) Tout a l’air, si calme, si posé qu’une catastrophe n’est pas impossible

    • bien contente Catherine de te retrouver par ici
      (toujours en tête ton texte Le Tube, il est resté dans un coin du cerveau, pas de doute… j’espère que tu finiras…)
      et là, tout plein de possibilités qui s’ouvrent, tu m’indiques des chemins
      espère ne décevoir personne !!…
      mais la catastrophe, oui… je suis une spécialiste !! ah ah

  10. Chère Françoise, un vrai bonheur de découvrir vos nouvelles errances, totalement nues inédites à chaque texte, avec de nouveaux mots, cette quête des sensations justes qui donnent un corps à celui qui vous lit, ranime des souvenirs, … c’est si précis, si exact que tout en vibre comme oiseau géant
    et tant aimé ce passage formidable
    « Le chant des oiseaux se répand de tous côtés, m’accompagne, ne me distrait jamais. Agréables créatures douées de vol et réclamant peu. Et là, je peux écrire assez longtemps si je cesse de penser. Juste écrire sans but sans resserrement. Juste la sève et la saveur. Et il me prend des rêveries de voler par-dessus le petit étang que je peux voir juste en face. »
    Merci tellement…

  11. Une évidence. On y est . Merci. (Avec le paysage et le plancher qui craque)

  12. Admiratif de ce sentiment de proximité qui nous cueille dès le début. Un vrai plaisir de te lire.

  13. J’aime « Je peux écrire assez longtemps si j’arrête de penser. »
    Tout y est propice dans ton installation et dans ton écriture.
    Je me suis installée dans la.pièce.

    • La preuve que les textes continuent à vivre longtemps après…
      Cette visite, la tienne, le ranime et m’oblige à le relire alors que nous touchons à la #23… étonnante expérience
      merci pour ça