#été2023 #04bis | Dans la nuit du samedi au dimanche

Dans la nuit de samedi à dimanche… c’est arrivé en pleine nuit, en tous cas, on ne l’a retrouvée qu’au petit matin, son corps étendu, son petit orteil relié à une crosse de fusil par un fil, la rosée l’avait recouvert, elle portait une robe blanche, de maison, humide par endroits, on aurait pu croire qu’elle dormait, ou qu’elle se reposait

Elle s’est tuée dans la nuit du samedi au dimanche, elle était complètement dérangée de toutes les façons, on savait qu’elle allait faire une folie un jour, que dieu nous en garde, c’était certain qu’elle allait dérailler un jour, on l’avait prévenu, Saïd, on lui avait dit ne te marie pas avec elle, elle va t’apporter que des problèmes, on lui avait dit de la répudier quand il avait eu des doutes, elle s’est suicidée pour qu’il ne la tue pas, voilà, c’est tout, et tant mieux, comme ça au moins il ne va pas pourrir en prison à cause d’une allumée comme elle

Les nuits sont toujours difficiles, quand j’arrive à m’endormir… je me réveille souvent avec l’image de son corps au sol, l’image est très précise, je ne pense pas que ce soit ma seule mémoire, je ne pense pas que seule, je puisse reconstituer cette scène, il s’agit d’abord de ce que les autres m’ont raconté ; il ne me reste plus rien d’elle sinon ce que les autres ont vu, ont cru voir, ou entendre, il ne me reste rien de ma mère, il ne me reste que le bruit des autres. Dans la nuit, d’un samedi à un dimanche, elle serait sortie de la maison, elle ne portait qu’une chemise de nuit blanche, à bretelles, elle aurait marché pieds nus, elle aurait récupéré un fusil, personne ne sait d’où, personne ne m’a dit à qui appartenait ce fusil, est-ce qu’à cette période les armes étaient partout ?, elle s’est accroupie, près de la grande pierre du jardin, placée là pour boucher un quelconque puits, ou pour accueillir son corps à ce moment précis et elle a simplement tiré, un coup de feu, certains disent qu’il y avait plusieurs trous, que le corps était criblé, mais d’autres les font taire, non, elle n’a tiré qu’une fois, personne ne dit avoir entendu un ou plusieurs coups, non il n’y en avait qu’un, elle s’est sui-ci-dée, voilà tout ce qu’on me dit, c’est-à-dire rien, personne ne peut me dire ce qu’elle a ressenti juste avant de mourir, personne ne peut me parler de l’odeur de son corps, de sa moiteur surement dans l’humidité de la nuit et l’épouvante de l’acte qu’elle allait commettre, son cœur cognait à quel rythme ? Peut-on marcher vers sa propre mort à un rythme lent ? son cœur cognait-il lourd ou léger ? Personne ne peut me dire tout cela, ni si elle a eu un bref instant de regret, ou au contraire un sentiment de soulagement ultime. Je me souviens des traits de son visage, quand nous sommes sorties de la maison, le matin. Nous avions l’habitude de sortir jouer un peu, avant leur réveil. Nous n’étions donc pas inquiètes de ne pas la voir, de ne pas sentir l’odeur du café ou du pain grillé, ni de la préparation de la mchouwcha du dimanche matin, nous rendions-nous même compte que c’était dimanche ? Les jours n’avaient pas encore de sens pour nous, et déjà, dans cette nuit du samedi au dimanche, ils le perdaient à tout jamais.

Nous sommes arrivés sur les lieux du crime vers 9 heures du matin, une trentenaire, fille de X et de Y, femme de Z, mère de trois filles, 9,6 et 3 ans, retrouvée morte, son corps avait été déplacé à l’intérieur de la maison. On ne connait pas leur nom. L’individu de sexe féminin a attenté à sa vie aux alentours de 6h du matin, dans la nuit du samedi au dimanche, nous avons retrouvé plusieurs balles de fusil et un fusil calibre XX près d’elle. D’après le mari, elle s’est donnée la mort alors que tout le monde dormait encore dans la maison. Affaire classée.

Oui, je me souviens de cette femme, que Dieu nous en garde, elle s’est donnée la mort, que Dieu lui pardonne, et nous pardonne, que Dieu nous accueille en son vaste paradis, je n’ai pas autorisé la prière du défunt puisqu’elle est morte criminelle, que Dieu lui offre sa clémence, je me souviens surtout de sa fille ainée, elle s’est jetée à mes pieds pour me demander qu’on puisse prier sur le corps de sa mère, c’était à briser le cœur, que Dieu nous en protège, mais les règles sont les règles, et puis de toute façon personne au village n’aurait souhaité prier pour elle, que Dieu nous préserve du mal, c’était un samedi ou un dimanche, en tous cas, elle n’est pas morte un jour saint, et Dieu seul sait

A propos de Lamya Ygarmaten

Anime des ateliers d'écriture par-ci par-là, co-écrit un film et essaye d'écrire un roman. A quitté l'Education nationale, mais nullement l'enseignement, et notamment celui du FLE. Ecrit des chroniques de lectures sur instagram : lamia.gormit, et a une petite chaine youtube (Ya Lam)

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