#été2023 #05bis | faire la française

l’instit
Je passe devant la boutique tous les jours institutrice à l’école un peu plus loin on voit toute la ville au lycée il y a un prof qui fait venir des films de France il leur montre Godard Bunuel c’est super pour l’avenir des enfants de colons mais les autres tu crois qu’il leur parle de cinéma africain j’aimerais faire ça avec mes gosses solina guitare électrique valiha je chante dans les fêtes de village un petit orchestre mes élèves ils ne peuvent pas acheter des disques certains ont à peine de quoi manger je leur dis de venir peu le font point rouge toute petite elle était obnubilée de bien se tenir à la française et là 20 ans plus tard elle me raconte son histoire de manque de repères de manque de musique elle sait peu qui elle est

point rouge
quand on était gosses celle qui est devenue l’instit me remontait les bretelles mais qu’est-ce que t’as à vouloir jouer la française tu crois que tu vas y gagner quoi à les singer je l’aimais pas quand elle disait ça parce que mes parents étaient sûrs que c’était ça qu’il fallait faire elle disait bosse à l’école apprends tout ce que tu peux mais laisse tomber cette façon de marcher droit de t’habiller en parisienne de pacotille mets ton sari amuse toi de ton point rouge entre les yeux t’es belle mes parents leur rêve c’était que je devienne une petite sylvie ils se rendaient pas compte les pauvres que j’aurais pu marcher sur l’eau ce qui importe c’est la couleur de la peau de tes pieds grâce à elle l’instit je suis entrée dans cette boutique et je commence à me sentir un peu moi

johnny
C’est mon lieu ma vie j’arrive de bonne heure ça m’oblige à me tenir au courant savoir ce qui se passe j’en sais presque autant sur olivier messiaen que sur rakoto frah l’instit je la vois passer elle me demande ce qu’il y a de nouveau je ne sais pas si c’est pour les enfants de l’école ou pour l’orchestre de son frère ils ont du succès dans les bals du coin demande lui ce qu’elle pense de ce groupe de jeunes frères et sœurs qui cartonnent en France ils passent à l’olympia les surfs ils s’appellent succès ici succès là-bas comment tu te sors de ça avant un des garçons passait des après midi dans les pochettes de disques rêvait devant les affiches de johnny sylvie petula ils ne viennent plus

l’expat
Je la vois depuis longtemps dans le village la semaine tenue de travail robe ou pantalon et le week end traditionnel chapeau parfois comme elle habite en bas elle passe devant la maison pour attraper le taxi brousse cet après midi chez le disquaire c’est la première fois que nous nous parlons elle parle un français superbe mais ce n’est pas une gentille elle ne fait rien pour saluer moi non plus d’ailleurs là en bas près des rizières elle doit côtoyer la misère rizière minuscule métayer certainement un ou deux zébus maisonnette en terre elle dit qu’elle est instit ici elle s’occupe du centre de vaccination son mari fait des réunions sûr qu’ils ne parlent pas de jolie musique ni de culture des fleurs ils rêvent un pays différent et nous ses voisins on n’en est pas

A propos de bernard dudoignon

Ne pas laisser filer le temps, ne pas tout perdre, qu'il reste quelque chose. Vanité inouïe.

5 commentaires à propos de “#été2023 #05bis | faire la française”

  1. C’est étrange, ces blocs de lumière dans lesquels se révèlent des brins d’histoires. Étrange et questionnant. Envie d’en savoir plus.

    • Merci Jean Luc. Je tâtonne, je bricole avec les consignes. J’ai l’impression que ça prend corps mais tu as raison : voyons la suite de ces brins d’histoires. .

    • où va tout ça, je n’en ai pas la moindre idée. Envie de parler de décolonisation, de moi comme enfant de la colonisation. On va voir. Si vous remontez le fil très loin, vous trouverez Cherchell Zeralda l’aviateur le cimetière d’Ivry, ça vient de chez vous, points communs nourrissants.