#été2023 #08bis | un réconfort

Ce jour-là il fait une chaleur infernale. Dès l’entrée l’odeur nous saisit — d’égout, de renfermé, le sol est jonché de feuilles, d’insectes morts durant la longue saison où la maison reste fermée. Nous ouvrons les portes, les fenêtres, l’eau, nous nous munissons de seaux, de balais, nous nous répartissons les pièces. Dans le salon, avisant une large fissure et le sol affaissé de presque un centimètre, je me demande combien de temps encore la maison tiendra debout. Il y a un rameau sec accroché sur le mur blanc, j’ai l’impression qu’il a toujours été là, comme un des premiers éléments de décor, posé à peine la maison achevée. Les mains cramponnées au manche, époussetant les carreaux de ciment, leurs motifs de fleurs stylisées, j’ai une pensée pour ma mère, sa curieuse passion pour le ménage, et pour les produits dont elle dressait la liste chaque mois, achetant sans compter liquide pour les vitres, dépoussiérant, poudre à récurer. Il me semble encore sentir les parfums de citron, javel, bois de cèdre. Alors qu’elle était habituellement impétueuse, combative, quand elle balayait elle abandonnait cette manière expéditive de faire les lits, la cuisine, de surveiller nos vêtements, d’attraper nos mains pour vérifier l’état de nos ongles qu’elle nous obligeait à tremper dans l’eau tiède avant de repousser les cuticules d’un geste vif, couper les peaux rongées. Faire place nette en caressant lentement les sols avec son balai permettait à son esprit de s’apaiser. Balayant les tommettes, allant chercher ce qui avec le temps s’est entassé sous les meubles, accumulant la poussière en petits monticules grisâtres, les faisant glisser dans la pelle en essayant de ne pas en soulever le moindre grain, dans la répétition de ces gestes je trouve moi aussi un réconfort. Dans cette maison, qui n’est pas ma maison, avec sa désinvolture de maison de vacances, chargée d’objets que ne reconnais pas, exhalant son parfum d’humidité, je pense à ma mère. Et je me souviens comme elle a ourdi son départ, vidé son dernier appartement — livres, bibelots, vêtements, dans de grands sacs poubelle que son compagnon descendait résigné dans les bacs au pied de l’immeuble sans même prendre la peine de les ouvrir pour en vérifier le contenu, obéissant à l’effacement qu’elle mettait en marche, n’osant pas l’affronter, elle était de toute façon déraisonnable.

A propos de Caroline Diaz

Née un 1er janvier à Alger, enfant voyageuse malgré moi. Formée à la couleur et au motif, plusieurs participations à la revue D’ici là. Je commence à écrire en 2018 en menant un travail à partir de photographies de mon père disparu, aujourd'hui c'est un livre, Comanche. https://lesheurescreuses.net/

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