#voyages #07 | Jalons, destins..

Le départ est maintenant opaque. N’en restent que des odeurs, paradoxales, celle du revêtement neuf des banquettes d’auto avec les petits bouts de plastique qui restaient accrochés autour des fixations d’appui-tête et celle des vieux carburants qui sentaient si bon le plomb.

Il y avait bien sûr le jeu des accélérations et ralentissements de sortie de la ville et le plaisir à tenir volontairement les yeux fermés pour reproduire avec la gorge les montées et descentes des vitesses, les anticiper parfois.

Le premier ralentissement paradoxal se faisait à l’approche de la statue de la Vierge, Papa la remerciait pour les tonneaux qu’il avait faits un jour avec sa Dauphine dans le champ à côté, sans mourir à l’arrivée.

Reyniès traversé n’était qu’un nom mais je savais que cela avait été celui de son équipe et qu’ils avaient battu des grands, je croyais encore que cela était permis à tout le monde, se trouver un jour à la hauteur des grands, que cela allait obligatoirement avec la liberté et l’égalité promises au fronton de la mairie. Je n’avais alors pas besoin de savoir où était le terrain de foot. Or, je ne savais même pas sur quel terrain Maman avait un jour été grande et c’est bien cela qui aurait dû m’inquiéter.

Mais on arrivait ensuite à l’usine, sans regarder l’usine, en regardant juste la longue maison de crépis gris de l’autre côté de la route, celle du contre-maître, celle de l’Oncle de l’usine, une maison longue comme ses râleries quand on s’y arrêtait. Il aurait dû être l’Oncle de l’épicerie, pas l’Oncle de l’usine et je ne l’ai compris que très tard.

L’épicerie, c’était chez Mamie. On y voyait encore la trace du grand thermomètre Révillon sur la façade. Dans l’entrée, la grande balance qui n’avait plus rien à peser depuis des années. Et quand même, la bonne odeur des pommes entreposées, une odeur de toutes les saisons, une odeur de toutes les anesthésies. Là, était venue l’annonce de la mort de Jules en 1917, là avait plané le veuvage de Marius l’épicier et son remariage mais aussi la nouvelle de l’attentat ayant coûté la vie à Raymond en 1962…

Maintenant, je ne vais plus qu’au cimetière. De là-haut on domine tout, pas vrai ?