#L13 | dialogue avec Pfizer

Charles Pfizer, 193 ans

Réécriture à partir du texte de la proposition L#9 Documenter

Version 1

Imaginez de voyager avec Monsieur Charles Pfizer. Grosses moustaches blanches, barbe style début du XIXème, cassée à la moitié du menton comme une sorte de papillon poilu, yeux noirs qui te regardent. Fixement. Charles Pfizer est un aventurier qui quitte l’Allemagne avant qu’elle n’existe. Originaire du Royaume de Wurtemberg, il immigre aux Etats-Unis au début des années 1840 et là partagé entre un monde et l’autre, partagé en deux comme sa barbe entre un hémisphère et l’autre de son visage, il fonde une société à son nom Charles Pfizer & Co. La société continue depuis, à travers les siècles. Elle est devenue le troisième groupe pharmaceutique du monde, mais elle a perdu son prénom. A Monsieur Pfizer je pose des questions tous les jours. Il est toujours avec moi. Depuis qu’il habite mon corps, depuis que son nom est rentré dans mes cellules et qu’il est là à me protéger, il est devenu mon ministre de l’intérieur. Je suis Pfizer, moi aussi, je porte ces moustaches blanches style empire au tréfonds de mes cellules. Dans les années 1840 Charles Pfizer travaille avec son cousin, Charles Erhart, peut-être qu’ils ont voyagé ensemble vers les Amériques, en s’embraquant d’Hambourg ou d’un autre port du Nord de l’Europe. Charles et Charles. Ils sont là sur le pont du paquebot et ils parlent densément. Un chimiste et un confiseur. Ils voyagent en première classe. Peut-être. Peut-être que Monsieur Pfizer a payé le voyage à Monsieur Erhart.  Ils aiment mettre la main à la pâte, ils experiment sans cesse et une fois à New-York ils créent un laboratoire et ouvrent un commencer au coin de la Harrison Avenue et Barlett Street, à Brooklyn. Leur succès réside dans ce goût de noisette qu’ils ajoutent à la santonine, remède contre les vers intestinaux. De là une longue histoire, qu’on pourrait raconter chapitre par chapitre, à travers tous les principaux et infinitésimaux événements de l’Histoire. Et oui c’est clair que Pfizer rentre dans nos corps depuis presque deux siècles, il immobilise et il en chasse les vers en les faisant mourir directement dans nos intestins, il arme nos cellules contre les virus, il bataille contre nos ennemis de l’intérieur. Un bienfaiteur. Sa carrière commence avec ce goût de noisette et Pfizer c’est un succès depuis. Il a inventé le Viagra et vendu les pastilles Vichy. Mais mon idéologie et mes moyens publics et étatiques ne me permettent pas de soutenir calmement le dialogue avec Monsieur Charles Pfizer, de suivre les aventureux développements de son entreprise et d’accepter pacifiquement cette intromission mondialement opérée au sein de nos corps. Nous disputons souvent. Il considère que je parle trop et que je ne comprends pas assez la mécanique du monde.

Version 2

Imaginez de voyager avec Monsieur Pfizer en carrosse, en train, ou alors en voiture. Il est là, assis devant vous, enveloppé dans son manteau noir, discret et silencieux, ou alors il est assis à votre droite pendant que vous conduisez. Il se tient tout droit et il vous regarde. Monsieur Pfizer se laisse écrire et recopier d’un texte à l’autre. Grosses moustaches blanches, barbe style début du XIXème, ces barbes étranges et originales, la sienne est cassée à la moitié du menton, comme un papillon poilu qui s’est posé sur son menton, yeux noirs et vifs qui vous regardent fixement. Charles Pfizer est un aventurier qui quitte l’Allemagne avant qu’elle n’existe. J’avais écris cette phrase, sur les traces de son histoire, je la recopie encore une fois et je pursuis. Originaire du Royaume de Wurtemberg, il immigre aux Etats-Unis au début des années 1840, il a dû voyager en paquebot et traverser toute l’Atlantique. J’écris et j’imagine cette traversée à chaque fois un peu plus, nous portons ces traversées comme si nous étions là et je voyage sur le paquebot à côté de Charles Pfizer. Une fois arrivé, partagé entre un monde et l’autre, partagé en deux comme sa barbe papillon partagée entre un hémisphère et l’autre de son visage, là dans le nouveau hémisphère de sa vie, il fonde une société à son nom, Charles Pfizer & Co., cette société qui continue à exister depuis, à remplir nos tiroirs de boites de médicaments et à traverser le siècles après cette première traversée de l’Atlantique, troisième groupe pharmaceutique du monde maintenant, mais elle a perdu son prénom, Charles. J’écris et recopie ce prénom, Charles, Charles, Charles. A Monsieur Charles Pfizer je pose des questions, tous les jours. Il me regarde fixement et prend son temps avant de me répondre. Depuis qu’il habite mon corps et que son nom est rentré dans mes cellules, il se laisse écrire et recopier, son existence est au bout de mes mains, il vit dans ma tête, m’accompagne partout, il est là pour me protéger, mon ministre de l’intérieur. Je suis Monsieur Pfizer maintenant, je porte ces moustaches blanches style empire au tréfonds de mes cellules, pendant que quelqu’un ferme la portière de la voiture de la rue. Dans les années 1840 Charles Pfizer travaille avec son cousin Charles Erhart. Peut-être qu’ils ont voyagé ensemble vers les Amériques, en s’embarquant d’Hambourg ou d’un autre port du Nord de l’Europe, je suis là au fond du quai et j’attends ce même paquebot que je vois dans le brouillard de ces journées passées. Ils attendent l’arrivée du bateau, enveloppés dans leurs manteaux noirs. Charles et Charles. J’écris et recopie leurs noms, pour la sixième fois j’écris ce prénom Charles, prénom de roi et de saint, prénom de la gare sur le sommet de la colline de la Ville, prénom d’hôpitaux et théâtres. Là, sur le pont du port, ils parlent et ils parlent. Un chimiste et un confiseur. Ils voyagent en première classe, peut-être. Peut-être que Monsieur Pfizer a payé le voyage à Monsieur Erhart. En regardant la mer, ils parlent d’expériences, je n’entends pas leurs mots, je ne comprends pas leur langue, j’entends seulement le bruit de cette conversation qui s’est laissée absorber par le brouillard de l’Atlantique et du temps. Ils aiment mettre la main à la pâte et une fois à New York, il créent un laboratoire et ouvrent un commerce à Brooklyn, au coin de la Harrison Avenue et Barlett Street. Leur succès est rapide. Il réside dans un goût de noisette qu’ils ajoutent à la santonine, ce remède contre les vers intestinaux. Leurs conversations sont faites de vers, de bactéries, de virus, de microscopes et d’autres machineries. De là une longue histoire qu’on pourrait recopier et raconter chapitre après chapitre, à travers tous les infinitésimaux événements de l’Histoire. Et oui Pfizer entre dans nos corps depuis presque deux siècles, il immobilise et chasse les vers, les fait mourir directement dans nos intestins, arme nos cellules contre les virus, bataille contre nos ennemis de l’intérieur. Sa carrière commence avec ce goût de noisette, tout se densifie, son nom devient un point lumineux de l’économie mondiale, tout se concentre, il vend les pastilles Vichy, il invente le Viagra. Je ne peux pas soutenir calmement la conversation avec Monsieur Charmes Pfizer, suivre les aventureux développements de son entreprise et accepter pacifiquement cette intromission dans nos corps. Mon corps l’écrit en le portant en lui, il arrive au bout de mes mains et de mon écriture, j’ai du mal à célébrer cette intromission et nous nous disputons souvent. Il considère que je parle trop, que je suis rebelle, sceptique et pas assez à l’avant-garde, que je ne comprends pas assez la mécanique du monde. Je me lève et arrête de l’écrire.

A propos de Anna Proto Pisani

Cultivatrice de mots et d'écritures, clown et enseignante. J'anime des ateliers d'écriture et création, j'en suis d'autres et suis engagée dans une écriture au long cours qui arrive à son terme.