autobiographies #06 | tac-tac, tac-tac et pas tchou-tchou

Paris Gare de Lyon, monter dans le train, un mardi en fin d’après midi, il est dix sept heures cinquante trois, le départ est prévu à dix huit heures dix, tout va bien, c’est l’hiver la nuit est déjà noire, le train s’ébranle à l’heure prévue, il commence sa longue route en direction du sud, vers l’Italie, je descendrai à Milan, il continuera jusqu’à Rome et même jusqu’à Naples, et demain il recommencera alors que pour moi c’est une première, je ne suis jamais restée aussi longtemps dans un train, loin de me déplaire cela me réjouit et toute guillerette je m’installe dans le compartiment 32 à la place 56, celle inscrite sur mon billet, plusieurs voyageurs sont déjà là, une mère et son fils de 10 ans, un couple de personnes âgées, il reste une place vide sur la banquette à côté de moi, je me demande sérieusement comment nous pourrons tous nous allonger dans ce compartiment exigu, il est pourtant bien spécifié sur mon billet que ma place est une couchette, bon je décide de ne pas me mettre martel en tête, je verrai bien en temps voulu, pour l’heure je regarde par la fenêtre, je fredonne intérieurement la chanson Un’avventura de Luccio Battisti puis la faim commence à me titiller, si j’allais au wagon restaurant, sur mon billet il est noté que j’ai droit à un dîner et à un petit déjeuner, je compte bien en profiter, en sortant brusquement du compartiment je bouscule celui qui essaie de rentrer, un homme dont l’odeur me rappelle F, le bel F, tiens F me fait encore de l’effet, dix neuf ans plus tard, pfff ça doit être l’excitation du voyage, je le regarde, c’est fou comme il lui ressemble, je m’excuse de lui être rentrée dedans et je poursuis mon élan vers le wagon restaurant, ouf, il reste une table près de la porte, je m’y installe bien décidée à me régaler et même à me bâfrer, boire un verre de vin pour commencer, comme c’est agréable d’être assise confortablement et d’entendre les saccades métalliques, le brinquebalement des wagons, le rythme régulier du train sur les rails, je commande le menu complet, j’y ajoute encore un verre de vin, m’enivrer doucement, le temps se distend, le bien-être m’envahit, je suis repue, légèrement fatiguée, impatiente de m’endormir, bercée par le roulis de la machine et les ronflements du sosie de F, je regagne rapidement mon compartiment, je suis d’abord surprise par l’obscurité dans les couloirs, impressionnée par le silence environnant, quelque chose de solennel règne, pour sûr « le mode nuit » s’est enclenché et paisible le voyage se poursuit, génial, tout cela me grise de plus en plus, à l’intérieur des compartiments les gens parlent doucement, ils s’éclairent avec leur téléphone, ils se dévêtent discrètement, s’allongent sur les banquettes transformées en couchettes superposées les unes au dessus des autres, trois d’un côté, trois de l’autre et un passage au milieu, dommage j’ai loupé l’étape de l’aménagement, je me demande si ce sont les contrôleurs ou les voyageurs habitués qui ont agencé ces chambres de fortune, je me glisse discrètement dans le compartiment 32 et grimpe dans la seule couchette restée vide, celle du haut à gauche, je m’allonge la tête près de la fenêtre pour entendre au mieux les bruits du dehors, je me blottis dans le sac à viande, je remonte la fine couverture râpeuse sous mes aisselles, je renifle, je respire, j’inspire, heureuse de m’endormir bercée par le train en marche, soûlée par l’odeur du voyageur bousculé, troublée par le puissant souvenir de F.

A propos de Cécile Bouillot

Bonjour je suis comédienne. Je développe également des projets vidéos dans lesquels je filme les gens autour d'une même question. J'écris des poèmes de rue a partir de phrases récoltées dans la rue, j'aime m'amuser avec différents jeux d'écriture, j'écris régulièrement depuis deux ans. Acte 2 Scène 2. Chaine Youtube : https://www.youtube.com/user/cecilebouillot

4 commentaires à propos de “autobiographies #06 | tac-tac, tac-tac et pas tchou-tchou”

  1. Ah oui, voyage mouvementée… Et me voilà habilement laissé dans cette incertitude : finalement, bon ou mauvais voyage ?
    PhS

  2. Magie des trains de nuit, sommeils et respirations partagés, merci de nous emmener dans cette traversée