L #4 pêle-mêle…

De la Comtesse de Ségur, née Rostopchine, Les petites filles modèles, Les vacances, Un bon petit diable, Les malheurs de Sophie, L’auberge de l’Ange Gardien et Le général Dourakine… D’Astrid Lingren Fifi Brindacier, Pippi Långstrump en suédois, soit « Pippi longues chaussettes » et son nom complet Fifilolotte Victuaille Cataplasme Tampon Fille d’Efraïm Brindacier (Pippilotta Viktualia Rullgardina Krusmynta Efraimsdotter Långstrump en suédois), aujourd’hui, il m’en reste la vague assurance que le salut est dans le non-conformisme et la joie de vivre, la peur de rien… Enid Blyton (série Le club des cinq, François, Mick, Annie, Claude et Dagobert), je me souviens surtout m’être longtemps demandée si l’auteur était un homme ou une femme, et me fait de ne pas le savoir faisait partie du mystère… Caroline Quine, tout un collectif d’auteur.e.s, pour écrire la série des Alice de la Bibliothèque verte, mon tout premier a été Alice et le talisman d’ivoire, talisman, talisman et cornac, mots magiques parce que tout neufs tous les deux… Lisette magazine et la régularité de la lecture du jeudi matin, me demande si, dans le café-tabac-papeterie où j’entrais pour l’acheter, je n’ai pas croisé une autre Annie Ernaux attablée, à faire ses devoirs, sauf que mon A.E. se prénommait Martine, qu’elle n’était pas bonne à l’école et qu’elle n’a rien écrit, c’était une copine de classe… – boulimie de tout ce qui tombe sous l’œil, sous la main, énergie joyeuse, féconde des jeux de miroirs ces lectures renvoient à l’enfant que j’étais et qu’ils renvoient à l’adulte aujourd’hui de l’enfant happée par ces jeux de miroirs, les réactions ; images d’enfants chanceux, de moins chanceux, des méchants que s’y l’on y grattait un peu et même encore un peu plus profond, des méchants qui ne l’étaient jamais par hasard, ni sans raison et ne demandaient qu’à l’être gentils, sauf qu’on ne les y aidait pas… si possible, y trouver, des patronymes, des prénoms, des toponymes, plein de patronymes, plein de toponymes inconnus et d’ailleurs, qui fouettaient le désir de les lire à haute voix, poussaient l’imaginaire vers ce qu’il ignorait – traverser Boston, New York, Philadelphie, la Nouvelle Orléans inconnues, conduire quand on n’a jamais conduit, prendre un avion comme on prendrait l’autobus ou le métro… néanmoins, déjà,  trouble conscience et naissant rejet des enfermements de la répartition des rôles, de l’attribution des sentiments et personnalités aux filles et aux garçons – être juste fille casse-cou (ce que j’étais loin d’être) et pas garçon manqué, la peur pas uniquement comme apanage d’une fille et pour un garçon, avoir peur ne pas être une mauviette pour autant, quand je savais pertinemment que les garçons peuvent avoir peur et pleurer et que ça ne me troublait pas ; rigidité des étiquettes (années1960-70) ; me souvient être toujours restée perplexe devant le personnage d’Alice, qui, à 20 ans, n’étudiait plus, ne travaillait pas, n’avait pas de projet professionnel ou familial – attendait le prince charmant ?! et sur les genoux, sous la case du pupitre, commencer à ferrer l’écriture pour refaire le monde sur les traces de Fantômette…

De Samuel Pepys, Journal, avec S.P., découverte de ce qu’est un journal, à la fois dans sa banalité et ce qui se tire de cette banalité ; un journal me fait l’effet d’une photo ordinaire, une semaine après elle n’a guère d’intérêt mais prend toute sa valeur cinquante, cent années plus tard ; le journal de S.P. est quasi sténographié, on y puise une mine d’informations, de détails (1665, la Grande peste de Londres, peste bubonique de Londres – la Covid aujourd’hui m’a immédiatement renvoyée à ce journal ; il racontait aussi en direct le grand incendie de Londres, trois jours en Sept. 1666, et tout le quotidien de l’auteur entre 1660-1669, dans son milieu social, son contexte politique, le dérisoire du quotidien comme le lot de tous, ce quotidien par lequel passe un.e auteur.e et au coeur duquel se construit une oeuvre ; Choses Vues de Victor Hugo, son journal en fait, cette autre manière d’entrer chez lui est une porte respirante, elle n’est pas la grande porte du V.H. des Travailleurs de la mer, celui des alexandrins filant comme l’eau d’une fontaine en juin etc… juste le V.H. des vibrations, des échos du quotidien dans son intimité – intimité du monument Hugo – Hugo consignant l’insignifiant et l’événement, de ce qui aura compté, alimenté, préparé le terrain d’un texte , ses choses vues comme s’il avait l’intuition que tout compte, les indifférences en creux aussi ; le but n’est pas de séduire l’oreille – la sienne ou celle d’un lecteur, ni de séduire une lecture silencieuse ; ce sont des notes (et parfois leurs codages), une écriture à l’état brut, journalier, besoin profond que la main soit l’outil d’une trace de tout, de rien, de premiers pas, les premières dents de ses petits-enfants, de dépenses (y compris les légères, qu’il code), les dons, les chagrins, déchirements mais aussi la Commune, les alliances, positions, espoirs, désillusions, rencontres, les textes laissés à la lecture publique pour alimenter les caisses, les déplacements, les fuites – et pendant tout ce temps l’œuvre qui déjà serpente, se prépare, se cherche dans cette matière-là.

De J-M. Le Clezio, L’Africain, relu en boucle et aujourd’hui encore régulièrement pour l’adéquation d’un homme, d’un territoire et de son mode de vie, les émerveillements initiatiques de l’enfance, le grand laboratoire de vie d’une liberté d’enfance – et néanmoins, les silences, l’incompréhension, leurs infranchissables barrières.

De Franz Kafka, Lettre au père, j’avais choisi d’entrer dans la maison Kafka avec cette lettre jamais lue par le seul qui aurait dû la lirebouleversante comme une bouteille à la mer, belle comme le geste gratuit – Kafka trahi ?  après ça La métamorphose, Le procès, Un champion de jeûne, Le terrier ont semblé le long suintement d’une œuvre annoncée ; après cette lettre, désir d’explorer des correspondances, Rainer Maria Rilke, Lettres à un jeune poète ; Vincent Van Gogh, Lettres de Vincent à son frère Théo. Dans les correspondances, il y a ce repli sur soi pour mieux fouiller, pour mieux penser, cette adresse à un.e et un.e seul.e comme un échange, comme un cri aussi, un chuchotement à l’oreille du destinataire, avec ces allers-retours du papier qui voyage, ce qui se dit dans les lettres et trace sur un temps long, on suit ce qui se dit avec des dates, rapprochées ou espacées, laissant le le temps du recul nécessaire à la macération, à l’oubli avant le prochain échange, ou bien au contraire le rythme soutenu qui en dit long également sur l’intérêt que porte l’expéditeur et le destinataire à cette correspondance.

De Nathaniel Hawthorne, drame de femme, drame des femmes, La lettre écarlate (The scarlet letter), cousue sur le vêtement ; la force des femmes aussi, leur résilience, la force d’aimer encore et l’amour rizhômant là et quand on ne l’y attendait plus ; isolement imposé ou choisi, vivre à l’écart du brouhaha, des esprits étriqués, des intolérances confuses ou clairement exprimées.

D’Herman Melville : chaque fois que je me sens d’humeur chagrine et mélancolique, chaque fois qu’un novembre pluvieux et glacial pénètre mon âme, je sais qu’il est grand temps pour moi de reprendre la mer… Moby Dick : du lourd, très lourd, un roman comme une épopée, quelque chose de l’Illiade ! Bien sûr, un catalogue incroyablement documenté sur la pêche au cachalot dans les années 1840, bien sûr du vécu plein les mains et la tête pour Melville entre 1840-42, mais aussi cette pêche et l’océan comme théâtre et cadre à la fois fictionnels et réels d’une traque, d’un affrontement nécessaire, du désir de savoir, conserver dans son corps ce qui se joue au dehors, connaître ses limites – ivresse, appréhension des départs, irrépressible défi lancé à soi-même, sonder ses propres profondeurs sans savoir ce que l’on y trouvera, … tellement d’autres possibles lectures encore ! Ici, la pêche au cachalot est corrida – le cachalot est taureau – à l’avant de son canot, le harponneur est un torero – Herman Melville et son écriture un Picasso se battant à coup de pinceaux pour témoigner de corps à corps avec la mort, le harponneur et le torero n’y font plus qu’un avec la bête ; le précieux, l’onctueux, le mystérieux spermaceti, l’œuvre à écrire /l’œuvre à lire, brassée, rebrassée, à lire et relire et relire, à poser puis reprendre et relire encore.

De Maya Angelou, prodigieusement femme, prodigieusement maîtresse de mots faisant mouche pour parler avec fierté des résiliences de femmes – trahisons, espoirs, désillusions…

De Gertrude Stein Autobiographie d’Alice B. Toklas, Américains d’Amérique, Geography and plays) découverte tardive (cadeau géant de T.L. été 2019) mais combien vigorante, déclencheuse ! Cadences, pulsations hypnotiques, embourbements de langue, on s’y laisse entraîner, on s’y épuise,  on refait surface, on s’accroche au premier changement de cadence pour s’y perde à nouveau, se relancer vers un prochain méandre, noyade douce et lente dans un rythme s’inscrivant jusque dans son clavier disait Alice Toklas – sans conteste dans le mien aussi ; même sensation ressentie avec un certain texte publié dans T.L, il y a 2/3 ans, noyade absolue au départ avec cependant la certitude que c’était qu’il fallait apprendre à nager jusqu’à s’y sentir comme un poisson dans l’eau.  

De Leopold Sedhar Senghor : son oeuvre poétique, ses rythmes incantatoires, ses images… oeuvre découverte en même temps qu’un échange épistolaire avec un jeune sénégalais, bien sûr, le jeune sénégalais ne parlait pas la langue de Senghor mais tout s’est fondu, mêlé, parce qu’au fond, de Senghor à ce naufragé du Joola, c’était la voix d’une histoire qui résonnait à mon oreille – avec eux deux, c’était toute ma langue que je revisitais.

De Georges Orwell, Dans la dèche à Paris et à Londres (Down and out in Paris and London), 1933, La ferme des animaux (Animal farm, 1945),1984 (1949) ; l’homme à l’œuvre, engagement absolu, toujours le même depuis l’Inde britannique, l’homme les mains dans le cambouis des contradictions de son époque, idéaux au service d’idéologies versus leurs réalités, convictions, trahisons, mais entre les mains d’Orwell, l’écriture comme une sonnette d’alarme sans une once de désillusion.

A propos de Christiane Mansaud

Besoin de passer par d'autres langues - connues, inconnues, pour mieux sentir celle en creux, la redécouvrir, l'explorer de la voix, la réécrire, la modeler, aller jusqu'où il est possible - qui mène l'autre ? mystère...