L#2 Tout ce qu’elle ne sait pas

Les ondes murmurées par les couloirs de l’hôtel lui sont imperceptibles — Elle ne sait pas ce qu’elles murmurent — Des incantations minuscules — Des soupirs de connivences adultères — Quelques délires insoupçonnés de voyages à rêver — Quelques résonances — D’un mur à l’autre des rebonds d’amertumes survivantes — Spectres de représentants de commerce — Des traces de sommeils lourds, mauvais, agités, vifs, superficiels — Pénibles digestions cérébrales — Ruminations confidentielles — Elle ne sait pas ces murmures d’ondes — Elle s’est endormie très vite — Surtout, ne pas rêver — Sa  chambre dont elle ne sait rien est de celles qu’on oublie — Hier encore et naguère la chambre utile et partagée — Ne pas imprimer le souvenir — Chez quiconque l’occupe — Sa caractéristique première — Ne pas imprimer les mémoires de passage — Une chambre qui voit passer tant d’inintérêts sûrs d’eux-mêmes — Sa chambre semblable aux autres — Recevoir les destins incongrus — Accumuler les « quelqu’uns » de piètre importance — De cela elle ne sait rien — Se prendre de sommeil dans une de ces chambres — Elle se repose — Sans savoir ce qui dans ces pièces est advenu — Tout ce fatras d’insignifiance — Qui fait hôtel — Ne rien savoir de cet hôtel — Qui l’a placé là — Comment le propriétaire a voulu un perron — Faire une entrée surélevée — Donner du chic — Un comptoir de teck — Dieu sait quel âge — Quelle ambition première — Hôtel — Rescousse à prix abordable — Havre où se loger pour quelques nuits — Pour quelques heures — Une bâtisse nécessaire — Comme d’autres — C’est pour ça qu’il a été construit — Il n’a pas eu son heure de gloire — Mais elle ne le sait pas — Passagère épuisée du bâtiment — L’hôtel vers où convergent toutes traces — Où des personnes ont repris des forces — D’autres en ont perdu — Accueillir des amours transitoires et pressés — Attirer les voyageurs égarés — Avec sa pancarte délibérément incrustée dans l’enduit — L’hôtel a sa place choisie — Elle n’a pas idée des ambitions qui ont présidé à l’érection de ce dispositif — Elle dort profondément et ne sait pas — Elle n’entend plus les bruits creusés — Descendre les rideaux de fer des boutiques — Chaque boutiquier veillant — L’un à ses salaisons — L’autre à sa quincaille — Elle ne connaît pas le contenu des échoppes — Pas eu le temps — Déjà trop tard — À son arrivée les vitrines s’allumaient — Elle n’a fait qu’entrevoir — Elle a entendu vaguement — S’amenuiser le brouhaha — En entonnoir vers le centre et la fontaine — Elle ne connaît pas cette fontaine — Bien qu’elle s’y soit rafraîchie tout à l’heure — Un point d’eau ancien — Dix-septième siècle rénové dix-neuvième — Le même maçon que celui du perron de l’hôtel — Orientée selon les points cardinaux — Quatre jets — Des figures allégoriques en bas-relief — Couler doucement — Leur eau claire — Elle ne sait pas si elle est potable — Bien qu’elle en ait bu — Un peu — Maintenant on peut entendre le son. L’eau claire dans le bassin — Mais pas elle — Qui dort lourdement — Le bassin au centre de la place — Elle ignore presque tout de cette place — Elle ne comprend pas sa position — En fonction des rues qui débouchent — Elle est arrivée par le hasard de ses pas — Traînants — Ne pas connaître le plan de cette ville — Toute petite ville — Ne sait pas s’il se trouve d’autres places — Elle a seulement aperçu des montagnes — Par l’ouverture des rues — Rasées par le soleil encore chaud

A propos de Fil Berger

Fil Berger, je, donc, compose les textes qu’il écrit avec des artefacts sonores et graphiques et ses pièces musicales avec des artefacts d’écriture et graphiques. Le tout cherche, donc, une manière d’alchimie modeste située entre ces disciplines. Il a publié des livres d’artiste avec le plasticien Joël Leick chez Æncrages et Dumerchez. Quelques revues comme Paysages écrits, Traction Brabant ont retenu des textes. Il a travaillé et composé des pièces musicales documentées sur CD. Il a partagé pendant plus de vingt ans des moments de création avec des chorégraphes, des plasticiens, des auteurs, des improvisateurs et des compositeurs. Il a animé des ateliers d’écriture et de partitions graphiques avec des personnes de toutes sortes. Fil Berger, je, donc, est un improvisateur qui compose et performe en forgeant ses propres outils, ses champs lexicaux, ses instruments, sa présence au monde en les mettant sans cesse en variation continue. Son travail est la recherche de convergences multiples entre... l’idée et la pratique du « baroque » et... la pratique et l’idée de l’insurrection « œuvrière » autonome.

6 commentaires à propos de “L#2 Tout ce qu’elle ne sait pas”

  1. a bin, moi, ça me plaît, ce retour, cette ignorance crasse dans laquelle, dans le fond, on se trouve toutes et tous quand on est jeté dans le monde ! et puis cette « voix », par-dessus, qui la raconte, elle, endormie, et qui « lit » comme dans sa tête, qui sait tout d’elle (en tout cas, perso, en tant que lecteur, c’est le « cinéma » que je me fais) et qui sait tout de ce qu’elle ignore : c’est splendide, moi je dis ! merci merci de foncer ainsi comme tu le fais ! je bénis Fil Berger d’avoir convaincu Fil Berger d’être de retour dans ces ateliers ! haha ! à tout vite, amigo !

    • Merci, Vincent pour ce commentaire qui me va droit au cœur !
      Ce bout de texte vient tout juste d’être écrit cet après-midi.
      Je ne prend qu’à peine le temps de me relire et je publie. À fond la caisse, donc. Une course contre la montre !!
      Je t’embrasse fort !

  2. Ah ouais, intéressant cette progression fragmentaires et par à-coups, des sautes d’idées, de ressentis, des tensions, des espaces à imaginer.. Merci!