#L4 / Sentimenthèque

  • De Mrs Dalloway. Trois double-v. The Whirlpool of Woolf’s Writing. Ou, en français, trois v. Le vortex des voix de Virginia. Une écriture creusant jusqu’au vertige les vérités de l’être, et où se noient les personnages. (Virginia Woolf et la traduction de Marie-Claire Pasquier)
  • De Phèdre. La beauté du français est comme une évidence, la noirceur effacée par tant de transparence. Le lieu, plus que Trézène ou Méditerranée, c’est la langue absolue, une passion qui naît. (Jean Racine)
  • Des Carnets de Malte Laurids Brigge. Tenir sa langue. Prêter attention sans relâche à la complexité du monde, et tâcher de l’exprimer. Travailler la forme jusqu’au bout de la phrase pour que les mots de la beauté ou de la folie soient beauté ou folie, ou ombre, ou lumière (Rainer Maria Rilke, traduit par Claude David)
  • De Yellowflowers in the Antipodean Room. Déposer sa peine dans les mains du lecteur, pas seulement lui confier, et l’entraîner très loin, au fond de l’autre et de lui-même, ou d’un autre lui-même que les mots font (re)naître dans des images ardentes diffractées par les larmes. (Janet Frame)
  • Des Fleurs du Mal. Le mot se fait chair, sur la strophe veloutée les sons regorgent de parfums capiteux, l’écriture et le rythme passent par le corps, jusqu’à la pourriture. (Charles Baudelaire)
  • Des Città invisibili. L’ordre dans lequel se succèdent les villes visitées par Marco Polo au cours de ses ambassades n’est pas fixé une fois pour toutes dans la mémoire de la lectrice, mais ce qui est sûr, c’est que leur construction soigneusement ordonnée sur l’atlas du Grand Kahn donne plus de sens à la pierre comme au pont, à chaque nouvelle lecture. (Italo Calvino)
  • De Cité dolente, trilogie. Je voudrais trouver la porte, le trou de serrure, la cloison coulissante, la fenêtre qui donne tour à tour accès à la matérialité du présent et à la remémoration des strates entremêlées du temps. Or laquelle est la plus douloureuse ? Laquelle est la plus réelle ? (Daniela Hodrová, traduite par Catherine Servant)
  • D’Alvaro Mutis (traduit par Annie Morvan et François Maspero), La Neige de l’amiral et toutes les autres tribulations de Maqroll le Gabier. Pour garder à niveau la ligne de flottaison, les récits n’ont besoin ni d’un début butoir, ni d’une fin marquée, mais d’être traversés par un humour baroque et par des personnages dont la vie se déroule largement au large du récit.
  • Du Docteur Jivago. La fiction à toute allure dans des paysages grandioses n’interdit ni la théorie, ni l’histoire. (Boris Pasternak, traduit par on ne sait qui)
  • De White. Un rythme. Sec et haché aux cinquantièmes rugissants, à vous donner le mal de mer. À la vitesse du vent, et des fantômes tournoyant sur la neige gelée, siffle, griffe. Une écriture aux antipodes de la mienne. C’est pour ça. (Marie Darrieussecq)
  • D’Anachronismes. Des noms communs, des noms propres, des verbes, des articles, des conjonctions, des listes, des histoires, pas d’histoire, l’hiver, sont des mots, sont des phrases, forment des sensations par accumulation, par juxtaposition, provoquent l’étonnement, provoquent mon dernier choc en date, encore en cours, tout neuf. (Christophe Tarkos).
Il y a de grands absents, certains des livres qui ont le plus compté dans ma vie, quelques uns de mes préférés. Je les ai écartés au profit de ceux qui, me semble-t-il, ont jalonné mon parcours d’écriture. Qui ne m’ont pas forcément changée, moi, mais qui ont fait évoluer ma perception de la langue ou du récit, qui en ont élargi les possibilités. Ainsi, le Docteur Jivago plutôt que le Comte de Monte Cristo, Daniela Hodrová au lieu de Leo Perutz, et ni Cortázar, ni le Grand Meaulnes, ni Sagan ou Kessel ou Prévert, ou Tempo di Roma, et pourtant, pourtant...

A propos de Laure Humbel

Dans l’écriture, je tente de creuser les questions du rapport sensible au temps et du lien entre l’histoire collective et l’histoire personnelle. Un élan nouveau m'a été donné par ma participation aux ateliers du Tiers-Livre depuis l’été 2021. J'ai publié «Fadia Nicé ou l'histoire inventée d'une vraie histoire romaine», éd. Sansouire, 2016, illustrations de Jean Cubaud, puis «Une piétonne à Marseille», éd. David Gaussen, avril 2023. Un album pour tout-petits, «Ton Nombril», est paru en octobre 2023 (Toutàlheure, illustrations de Luce Fusciardi). Le second volet de ce diptyque sur le thème de l'origine, prévu au printemps 2024, s'intitulera «BigBang». Actuellement, je travaille à un texte qui s'alimente de la matière des derniers cycles d'ateliers.

2 commentaires à propos de “#L4 / Sentimenthèque”

  1. Moi non plus, je n’ai pas mis certains livres, même s’ils font partie de mes préférés… Peut-être pour garder la relation à ces livres très intimes « top secrète » et ne pas disperser la belle énergie qui nous unit en la mettant en mots. Ne pas tout dire… pour pouvoir mieux écrire après ? Belle bibliothèque très ouverte qui fait la part belle aux voyages dans l’espace et le temps, dans le classique (Phèdre) comme dans le contemporain (M. Darrieussecq). Envie de découvrir White pour son rythme trépidant et le livre de Janet Frame pour la profondeur du récit qui m’attire. Merci pour ce partage !

    • Merci Zoé pour cette discussion autour des livres, tant de pages à découvrir, à vivre…