#L5, expansion

Pour l’énergie du dérisoire, la sensualité, la filiation coupable.

#L3 . On peut s’arrêter là si tu veux ? Il a dit ça si tu veux, hypocrite, c’est lui qui en a marre. A quoi ça servirait de discuter, la dernière fois c’était jusqu’à trois heures du matin, la barre au front, les yeux qui piquent, petit épuisement deviendra grand, homme-femme tellement pas la même planète, à quoi ça sert, tu sors tes arguments, tu t’accroches à un malheureux mot de la réponse, tu reprends ton idée autrement, mais pourquoi tu t’accroches, quand on en est là c’est foutu. Tu sais ce que tu vas faire, tu vas penser très fort à la première fois, à ce que tu savais qui clocherait et tu vas rire un bon coup, tu vas penser au bain que tu vas te faire couler en rentrant, au moment où tu vas basculer la tête sous l’eau, à la caresse qui entoure ton crâne, à tes cheveux flottants, au moment où tu vas prendre ta respiration pour recommencer. Encore et encore. C’est ça qu’il te faut, des plaisirs simples, des plaisirs solitaires simples. Et même le jet de la douche entre les cuisses au besoin. Et surtout ne pas téléphoner à Pierre Paul ou Jacques, Olivier Benjamin ou Jules, ça suffit comme ça les Jules. Quelle ville de merde, tout étroit partout, même l’éclairage minable. Et ce jeune mec sous la pluie.


#1. Sensation d’errance. Les vieilles baskets commencent à prendre l’eau, la capuche ne sert plus à rien. Ce n’est pas inconfortable, il ne fait pas froid. Le jeu des flaques, ça l’amuse depuis longtemps, Il entend encore le ton de sa mère pas vraiment fâché en fond Non, mais tu le fais exprès, on dirait ! bien sûr il le faisait exprès, avant l’école c’était surtout avec Françou, à sauter à qui mieux mieux et à rire, à hurler et à sauter encore. Après, les plus belles flaques, c’était sur Chemin de Piéjoux, il connaissait les creux par cœur et en toute saison. La bande en vélo, les éclaboussures en veux-tu en voilà, prendre le maximum d’élan pas trop loin de l’autre sans se mélanger les pinceaux dans les roues, J’t’ai bien eu mon pote, les Kway maculés de tâches marron de la plus grande à la plus petite en jolies traînées victoire de vitesse ; sûr, pas vraiment cool de se reposer dans l’herbe humide mais s’allonger le temps de jouer à quelle forme dans quel nuage, Mais où tu vois un éléphant toi, Ah oui d’accord mais non plutôt un monstre qui fume la pipe, sentir malgré la fraîcheur l’âcre un peu sucré de la fin de l’hiver, écouter les premières trilles des oiseaux, se promettre d’apprendre à les reconnaitre et puis il l’a jamais fait. L’hiver souvent seul, les flaques durcies, la couleur varie selon l’épaisseur du givre, opaque vers les bords blancs puis bruns, verts doux au centre, presque transparents, sous les semelles un bruit sec, coupant, l’eau remonte dans les fissures, s’il fait vraiment froid ça gèle à mesure, c’est quand la bise souffle fort, t’avais pas intérêt à avoir oublié ton bonnet, sinon pas que le nez rouge et piquant, l’ourlet des oreilles aussi. Un fois son père est là avec lui, comment ça se fait qu’ils étaient ensemble rien que tous les deux, il n’avait pas osé faire craquer les plaques, il avait rien osé du tout d’ailleurs, ils marchaient, c’est tout, ils marchaient dans l’hiver, le silence. Ici, ils ont refait les trottoirs récemment, une espèce de béton lavé avec petits cailloux apparents, des rainures métalliques très fines pour l’écoulement, dans les rues une rigole au centre avec des galets du Rhône, paraît que les ouvriers venaient d’Italie, c’est pas mal, assez doux. Il ne connait pas encore le plus court chemin pour arriver chez lui.

A propos de Mireille Piris

Toujours un lien avec l’écriture dans ma vie de comédienne, chanteuse, animatrice culturelle, psychodramatiste, formatrice conseil. L’art reste le fil conducteur dans la vie d’après qui alterne écriture peinture photographie. Comme dans un recueil de nouvelles, Une étrange modernité, paru chez N & B, où il se mêle au destin de quelques cabossés de la vie. (Auparavant chez le même éditeur, Boulevard des orangers, évocation de l’Algérie dans l’enfance et l’adolescence) Particulièrement sensible au dernier atelier Prendre. Toujours en chantier parallèle des nouvelles et un roman… Peur de la dispersion mais curieuse…