#L5 | Remous et renversement

l’humanité poussée dans ses retranchements, à bout d’elle-même
les mots de terre et d’eau, les histoires mêlées dans lesquelles il est facile de s’y glisser
remous des êtres, des pensées, des éléments
tout est renversement

Une forme qui en devient une autre

Sur la toile tendue pour une occasion qui se répétera sans doute, un train arrive en gare. Choc de l’image en mouvement. Sursaut, aujourd’hui, quand le train freine un bon coup. Arrivée en gare. C’est la prochaine. Les trains. Il les voit partout autour de lui, même s’il a quitté la ville, même si la voie est étroite par ici. Même en pleine campagne, des trains sombres et pleins de poussières. Des trains qui lui offrent les possibilités de vie, à lui qui se prétend immortel, qui a fini presque par y croire. Les trains et les correspondances. Les billets s’accumulent dans ses poches, il les découpe parfois en fragments qu’il disperse sur les voies. Correspondre par ici ou par-là, moyen de fuite. Echappement. Des trains remplis de gens en fuite. Il faudrait retrouver les billets, faire l’inventaire des trajets. Ce serait une façon de se souvenir. Pendant la guerre, les enfants que l’on jetait dans les trains direction campagne, fermes ou manoirs peu importe, se souvenir des gueules de morveux qui ne se tiennent jamais tranquille. En avoir été un, peut-être, ne se souvient plus tout ce qui intéresse c’est le train, l’idée du mouvement. Le train comme un cercueil de la vie, protège de la mort. D’un autre côté, le train est un risque. Il croit ferme dans les chiffres pairs, il est de ceux qui apprécient de jouer leur destin à pile ou face. Dans son portefeuille, quelques pièces de quelques pays. Des pièces ramassées dans les wagons-restaurants, il y en a toujours qui traînent, les serveurs ne sont pas assez rapides. La rapidité. Le mouvement. Il n’y a que cela de vrai. Le train s’en va de la gare, l’image ne s’efface que dans la réalité ; sous ses paupières, bien imprimée. C’est une certitude qui ne le quitte plus. La vie est une image en mouvement et les trains y sont des motifs récurrents. Alors il prend des trains, des tas de trains, comme il aurait dit autrefois. Les vapeurs prennent d’autres chemins. Les formes changent. Son corps a changé aussi. Ignore si la reconnaissance est possible. Le train. Le train et ses banquettes inconfortables, il déteste la matière sentie sous ses doigts, ça vous donne des frissons dégoutants, on ne sait combien de personnes se sont tenus assises. Et il sait ce jour-là que le train qu’il prend, c’est un rendez-vous donné il y a longtemps. Déjà quand les ailes moites du papillon se sont retrouvées aplaties entre ses paumes – qui n’ont rien à voir avec les objets d’art qu’elles sont devenues aujourd’hui – le trajet était décidé. Il a une lettre dans sa veste, avec une adresse. Il n’a pas besoin de la relire, il se souvient. Le train arrive en gare. Cette fois-ci, c’est la bonne, il sent sa poitrine se comprimer alors que les voyageurs se pressent vers la sortie. Il le sent, c’est un piège. Il se sent repoussé là où il n’aurait jamais dû revenir, il comprend qu’il fait enfin parti des autres. De cette humanité poussée dans ses retranchements, à bout d’elle-même.

Dans le miroir du jardin se joue un spectacle d’ombres et de lumières. Le reflet montre des visages aux âges différents. A l’intérieur de la glace, tout se bouscule, famille, amies, et puis l’inconnu. L’inconnu finit par frapper l’ensemble des figures, c’est un peu comme s’il contaminait de ces traits nouveaux des visages familiers. Comme s’il n’existait qu’une seule personne, sorte de créature grotesque avec multiples yeux, nez, bouches et oreilles. Il y a quelque chose de primitif dans ces jeux de regards et de reflets, ou l’on se découvre soi avec les autres. Le miroir comme un moule. Et puis ce ne sont que des visages, on évite le pire, on évite un assemblage de corps tout entier, voilà qui serait vraiment affreux, si tous les corps se fondaient en une masse unique. C’est quand même un mélange qui remue quelque chose à l’intérieur de la personne qui se regarde, qui se rencontre pour la première fois dans les yeux d’un autre à travers la glace. Même les peaux sont les mêmes, se transforment et deviennent une peau unique ; la faute à la lumière qui fait des tâches sur l’ensemble des visages, qui allonge ici le nez, rehausse l’éclat d’une mèche qui balaye plus d’une joue et là, est-ce l’ombre d’une lèvre ou bien une moustache ? Remous des êtres qui ne se tiennent pas tranquilles, formant une image impossible, des pensées, j’ai l’air d’un homme, je suis la plus belle, j’ai peur, je ne comprends pas, j’ai vieillie, est-ce que cette femme est ma mère, remous des éléments dans le miroir.

Les deux côtés d’un même monde

La voilà la fiévreuse, son accent du Devon qui résonne en écho dans la vallée, celle qui a fait du paysage un royaume où la domination n’existe pas, où une main tendue sera toujours remplie des richesses des autres. Toutes sont en train de courir, de s’essouffler, déjà elle est arrivée au bout de sa propre course, une course conduite contre elle-même. Elle retire le foulard qui la rend brune, fait offrande de ses cheveux au vent qui semble vouloir les arracher de son crâne. Au vent les cheveux-chevaux, comme dirait l’autre. De ces femmes qui rient, qui courent, elle tente de percer le mystère de cet éparpillement. Comme ça chahute ici-bas ! Oh ça pour jouer, elles aiment jouer ! Avec joie, c’est convenu, un accord tacite. L’amorce d’un mouvement est le prétexte d’un éclat de rire. Les rires des filles dans ses oreilles qui contiennent tant bien que mal l’épaisseur de ses cheveux. Elle observe les cheveux des autres, elle se souvient de la texture de chacune. Un bouillonnement, une chaine qui va du doré fillasse jusqu’au brun crépu, des mains comme des étoiles brandies dans le ciel. Elle cherche celle qui a le don de figer ses doigts dans une posture particulière autour d’un crayon de bois. Celle qui pourrait croquer ses traits particuliers – dans un langage plus vrai, on dirait simplement sa laideur –. Elle s’imagine la palette dont les teintes sauraient rendre la réalité de son être, tout en le rendant agréable. Elle ne veut pas simplement guider les autres, elle veut attirer l’œil sur sa silhouette. Veut du purement physique. Penser à sa palette ; lait où sont noyés des moucherons pour son visage, vert-de-gris les yeux, nez rose comme une chatte, cheveux en feu, quoi d’autre ? C’est encore trop beau pour elle, elle passe ce qu’elle a de plus beau sur son visage et alors que ses paupières sont closes, elle peut déceler autour d’elle ce remous des êtres, des pensées, des éléments qui fondent son monde et le peu de sa beauté, elle s’en contentera.

Avant même de voir la mort, une odeur l’entête, anesthésie son corps et ses pensées à la fois. Devant elle, sous ses propres yeux, un insecte ailé chute dans la terre. Elle regarde, a un petit reflexe de recul. Ne veut pas le tuer. La vie est très fragile, c’est ce qui lui est venu, une pensée très simple, comme ça, sans réfléchir. Ce sont les pensées simples qui sont les plus graves. Des pensées qui surgissent quand elles ne nous concernent pas encore, comptent tout de même. La vie est fragile pour les petites choses. Elle distingue les ailes qui ne bougent plus. Comme des morceaux de nacre bleuté. Son corps doux, poilu, minuscule. Elle s’en émeut ; l’insecte est un papillon. Arrêt sur image. Elle reconnaît l’argus bleu-nacré du paquet de cigarettes qu’elle a volé à un oncle éloigné, ou peut-être un parfait inconnu, ne se souvient pas bien, il était jeune. Elle l’était davantage. Ce type de papillon apprécie les sols pierreux, elle ne conçoit pas qu’il soit venu ici par curiosité, peut-être avait-il choisi de mourir devant elle, de lui faire admirer le bleu de ses ailes qui ne bougent plus. Non, elle secoue la tête avec un sourire, elle sait que ce n’est pas vrai. Elle observe la bête avec attention, c’est une façon de lui rendre hommage. Ce bleu argenté, froid et pâle, elle cherche à se rappeler de cette couleur dans la nature, ne voit rien. Ou, peut-être, si, la teinte que prend un ciel sans nuages, un ciel du soir. Argus et ses yeux immobiles. Elle sent que la brume s’écarte de ses pupilles. Elle prend une feuille de frêne, recouvre son corps de ciel. Voilà, la tombe est dressée, elle l’enjambe, ouvre grand ses bras, tend son corps vers le haut, comme appelée par le soleil. Naturellement, il faut continuer de vivre. Le vent s’est levé. L’oiseau a poursuivi son chant. Elle ne se retourne pas. Un papillon est mort, il faut poursuivre son chemin sans trop de peine. Il y en aura d’autres, toujours affecteront un peu. Il faut pouvoir se laisser envahir par les histoires mêlées, les souvenirs. Sans écraser autrui, il faut se trouver une petite place à soi en toute circonstance, et avancer.

La classe est terminée, il est l’heure d’une leçon de sol. Les sols calfeutrent les pas. Les sols sont des poumons. La terre est parfois rouge de limaces et de feuilles. Boue molle, doux bruit sur la semelle. Les odeurs pourries sont des parfums précieux. Elle sent combien ses sens frémissent, combien les mots de terre et d’eau, dont elle fait l’inventaire dans son esprit, lui sont des respirations supplémentaires, un souffle en plus. Les empreintes sont comme des feuilles qui en recouvrent de plus ancienne. Les chaussures – bottes brunes, déteintes de pluie et de tous les chemins déjà empruntés – effacent empreintes d’enfants. Des meurtres de pieds, une drôle d’idée, une idée qui amusera la cadette, note mentale, prendre au passage une branche de baies rouges. Se répéter comme une prière qu’il faudra, ce soir, raconter un petit quelque chose autour d’un crime pédestre. Chapelet de la nature entre les doigts, les baies rouges, une à une, tombe au sol, un chemin rouge se forme. Tout a un goût de l’enfance, du conte, et il faut rester maligne pour ne pas tomber dans quelques pièges. Il faut suivre le bon chemin, ne pas tenter les détours. Il faut suivre la dépression sans se soucier du soleil qui disparaît derrière les feuilles. L’automne décharge le ciel pour donner au sol cette consistance sur laquelle les pas peuvent compter. Les champignons transpirent des toiles d’araignées entre les racines. Rien ne compte d’autre ici que la vie ; il n’y a rien à dire, tout se découvre à l’œil commun, il suffit de regarder. Alors ce ne sont plus les mots qui convoquent la terre et l’eau, c’est la Nature qui écrit ses propres vers. C’est elle qui dévoile une grammaire composée de mots de terre et d’eau. Des mots palpables ; la rosée sous la plante des pieds. Les pierres, des poids sous les orteils qui brisent des brindilles, un coup de vent brode des feuilles sur les capes. Se pencher. Il faut une terre humide, malléable sous les doigts et non les poings. Fléchir. Déposer les genoux à même le sol. Là où les bêtes trouent la terre. C’est comme si les mots lui manquaient. C’est comme si on grignotait son vocabulaire alors que son regard se laisse aller à la contemplation de la Terre qui tourne, là, dans cette petite flaque d’eau, elle le voit. Elle voit aussi le duvet déposé par les chenilles sur une feuille. Ses ongles pleins d’humus n’ont pas percé le repère de l’une d’entre elles. Elle s’essuie en tendant ses membres vers le ciel, elle espère un rayon de soleil qui ne viendra pas. Un oiseau s’envole, soulageant la branche d’une pluie qui vient baptiser celle qui cherchait à renouveler sa langue.

Mouche de bronze

Alors c’est cela un être en fuite, perte de repères et autres ennuis, non je ne m’excuserai pas d’avoir choisi la chute, de ces personnes qui se tiennent trop près des falaises, oubliant leur passé, tenez je me sens Icare aujourd’hui, même dans le noir, je me sens comme l’ambassadeur des causes perdues, de ce ramassis que forme l’humanité poussée dans ses retranchements, à bout d’elle-même. Les crimes que vous lisez sur mon visage sont comme les reflets de vos doutes, vous ne savez pas ce que c’est que d’être comme un animal que l’on traque, le respect des lois, de quelles lois me parlez-vous donc, vous n’êtes que des enfants, vous qui vous agitez autour de moi, qui me poussez, vous n’êtes que des petites choses fragiles, vous vous amusez ensemble, vous me prenez comme on prend un jouet, bientôt vous m’aurez oublié et alors je retrouverai dans un autre train, vers une autre ville. A des miles de penser à vous, je ne penserai qu’à moi, j’en aurai l’occasion, ce sont de ces occasions-là dont j’ai le besoin. Je suis pourtant déjà las, je peux l’admettre à demi-mot, je peux ressentir comme une sorte de relâchement de mon corps, dans ma peau, parfois je surprends une rondeur, une ride dans le miroir et alors je me mets à réaliser quelque vérité sans pour autant pouvoir y mettre des mots. J’ai dit de grands mots tout à l’heure, du moins les ai pensé si fort que je me suis dit que vous devriez les entendre. Fourmis que vous êtes, sombres, minuscules, insignifiantes bestioles que l’on écrase sans prendre garde. Ce serait commode de pouvoir vous faire disparaître à ma guise, vous blessez, un peu, et pour vous voir rejoindre ces corps abimés, comme après la guerre. Un jour j’y ai pensé, j’ai fait ce rapprochement-là ; de cette similarité observée entre les fourmis sous ma semelle qui poursuivent malgré tout leur chemin, avec les hommes qui reviennent mutilés de guerre, et puis encore ces femmes aux ventres déformés par multiples grossesses, et ces femmes violées, aux visages de pierre, qui développent parfois quelque bizarrerie dans la démarche ou la posture. Cela devait être après une séance de cinéma, quand j’allais au cinéma, dans quelle ville déjà…Il y avait un train, ça, je m’en souviens, il y avait toujours un train qui avait dû me pousser à penser l’horrible.

Tout est renversement : l’invisible qui vous parle. Je ne me sens pas voix, à peine le sursaut d’une pensée, tenue en éveil par l’humidité qui lentement me gagne. C’est comme ça, seule, toujours seule. Les saisons ne sont pourtant pas censées avoir d’humeurs, voilà que j’offre à la pluie toute ma mélancolie. Ma raideur est la seule chose qui tient encore debout. La pluie a fait du jeu un massacre. Les simples se sont aplaties. L’eau imprègne un monde de fous qui débarrasse à force de cris, de rires, tapage nerveux, la table dressée pour le goûter. C’est froid, c’est absurde. Tout devrait être lignes sèches. Mais les napperons de papiers, dont personne ne se préoccupe, s’envolent en oiseaux trempés, lourds, s’arrachent sur les pierres du chemin, des cendres de papier. Les gâteaux sont des éponges. Les oiseaux volent très bas, emportent une miette ou une goutte, c’est pareil. Le thé dilué, refroidi, n’existe plus. Il a sombré dans la terre. L’eau de la tasse est une fontaine en dérangement. Celle que j’aime a des mouvements brusques, elle pourrait tomber dans mes bras, non, il est inutile d’y compter. Sa hanche se cogne dans un coin de la table, vacillement, la tasse chute, la porcelaine se brise l’anse. Ton regard est attiré par le blanc dans le vert. Et tes yeux croisent les miens, l’espace d’une seconde. Ce qui me bouleverse, c’est que le chemin des feuilles de thé, collées à l’intérieur de la tasse, menait vers ta bouche. Qu’une fois au sol, les feuilles déversées dans la pelouse, il ne subsiste rien de cette intimité que j’aurai pu partager avec toi, un baiser sur tes lèvres, un baiser par procuration, mais un baiser tout de même. Tout est renversement ; en mes yeux visiblement tu n’as rien décelé.

Qu’est-ce qui est digne du souvenir, je n’en sais rien, je pose la question et personne ne pensera à me répondre car personne ne pourrait soupçonner que ce soit là que mon intelligence demeure, dans des questionnements pareils. Peut-être que si je prenais le temps de penser à quelqu’un, de temps à autre, un chemin à frayer dans le champ de mes réflexions toujours dispersées, je pourrai mieux comprendre la question. Il me faut quelqu’un, et comme il y a cet homme qui, au détour d’un jeu, prend le soin d’étudier mon corps, peut-être plus, je me prends à un jeu tout autre. Je me fais de la place pour une idée neuve : il est temps de réaliser quelque souvenir de notre rencontre. Et je dois bien poser mes yeux quelque part, autrement je passerai pour une rêveuse. Quand on vous croit rêveuse, vous n’avez plus aucun pouvoir sur le monde, et c’est bien la dernière chose que je désire. Je ne désire vraiment rien. Un souvenir, il m’en faut un, de quoi pouvoir me donner un repère quand toutes ces heures qui passent sont des jours de pluie. La seule chose que je retiendrai, ce sont ses mains. De grandes mains comme des cartes en relief. Avec des veines saillantes, on dirait qu’elles vont trancher sa peau. Non, elle est résistante, cette peau. Une peau d’adulte. Ne sont pas douces, un peu sèches. Brunes. Du genre qu’on ne voit pas dans le coin. Les paumes sont puissantes, les doigts allongés. Il a des ongles en lunules, ni trop courts, ni trop longs. Seul celui de son auriculaire droit est laissé plus long, comme une griffe. Ses ongles accrochent un peu mon col. Ses mains glissent sur mes seins plats. Très rapidement, il les effleure sans se douter, sûrement, que ceci est ma poitrine. Sous ses doigts, tout est sans consistance. Ses mains remontent. Mes épaules pétries. Broyées. Ces mains qui pétrissent ma peau, ne remuent pas seulement ma chair. Je vous prête mes seins inexistants, mes épaules dures, mes cheveux qui s’enroulent autour de votre cou. Les mains déclenchent des pensées qui m’incommodent. Gardera t-il un souvenir de moi, peu importe, déjà je pense à sa propre vision : mes membres en obstacles, de l’air brassé au lieu d’un corps, ongle qui risque de se briser, l’adulte bien établi sur une fille à peine sortie de l’adolescence, aux sillons veineux qui palpitent…Notre rencontre a eu lieu ailleurs, je le sais à présent, tout est retourné, tout est renversement, le temps s’arrête.

C’est ce qui me sauvera, ce sont les mots de terre et d’eau, de ces chemins parcourus d’humidité, de ces vibrations, des poussées de vent, les effluves de marais tourbeux d’un autre pays, la lande, cette chose qui n’est rien, qui ne brillera ni au soleil ni sous la pluie, si courage de braver la pluie, la boue, sur le sentier, les forêts, arbres, la vallée, les sylphides qui s’y cachent, des pluies, les contours n’existent plus, les femmes et les graines disséminées, d’une couleur qui inonde, surface de l’eau ondule, se raye, les lignes brisées rassemblées sous mes pas, un chemin de traverse, pénétrant le massif de rhododendrons pour me faufiler sur la route fleurie, là, lueur incertaine, cachette imprenable, dans les massifs rares et fleuris, les teintes fondues des corbeilles d’or et d’argent, de ses alysses serrées, qui s’étouffent, martèlement de la pluie sur la tente de fleurs, feuilles racornies qui craquent en poussière, les mains comme des pierres font des poids dans ma robe, fleurs de trèfles comme propositions de nourriture, je défaille, la cime des arbres se moque de ma fragilité, mais je suis protégée par la flore, dans la joue, au champ, herbes folles, tournant comme les disamares de la saison à venir, sur mes paupières les gouttes de pluie, mais plus lourdes et parfumées, je me demande dans quel rêve je suis supposée me réveiller, rêve et histoires mêlées dans lesquelles il est facile de s’y glisser.

Voilà je grignote l’immense, me suis munie d’une loupe taillée en forme de cœur (Miss Marple 2.0) pour détailler une certaine violence, le corps, pousser les voix, les petites choses qui comptent à travers ce qu’elles m’ont insufflées.
Ignore si principe de dettes fonctionne avec sœurs-adelphes mais elles retournent en moi vocabulaire, rythme, visions ;

AGATHA SYLVIE VIRGINIA MONIQUE

A propos de Alice Diaz

Enfant, veut être litote. Adolescente, passe beaucoup de temps derrière les écrans à créer des mondes et des personnages. Participe à des ateliers d'écriture. Expérimente la photographie. Fière membre du Castor Magazine. Educatrice spécialisée en devenir. Tient un blog où elle cherche à faire signe.

6 commentaires à propos de “#L5 | Remous et renversement”

  1. Texte ô combien riche, empreint d’une grande matérialité : les mots prennent vie sous nos yeux, on peut presque les sentir bouger sous nos doigts. Tout est mouvant dans ce texte, avec cette invitation à aller de l’autre côté du miroir pour y découvrir la complexité de la vie, et cette ode à la nature qui est de toute beauté. Et parfois, il est vrai qu’on ne sait plus bien s’il on est dans le rêve ou la réalité…

  2. Merci Zoé, votre lecture me touche ! La nature prend une importance grandissante dans mes textes, j’y trouve beaucoup de matière à creuser, avec le sentiment de ne jamais arriver « au bout » (peut-on seulement y parvenir ?). Moi-même, avec ce que le principe d’extension permet, je me préserve une part de doute concernant l’espace où les pensées évoluent, tracent leur chemin.

  3. J’ai lu l’ensemble de vos # »L ».
    Bravo. Des jeux de miroir, des identités troubles, beaucoup de poèsie et une grande proximité, en effet, avec la nature. Belles et larges expansions aux côtés de vos quatre inspiratrices. C’est une bonne idée, de les nommer! Je lirai la #L6 avec plaisir.

    • Merci de vos lectures attentives Elisabeth ! Et au plaisir de vous retrouver dans mes lecteurices.
      L’idée me vient de MONIQUE (Wittig) dans « Les Guérillères », on a beaucoup à en tirer…