#L6 Le chien

La veille, il a fini par adopter le chien en lui donnant un nom : le chien | séduit par la bonté de l’animal | touché de le voir attendre patiemment les rogatons de la cuisine qui auréolent de graisse le sable | son regard le met mal à l’aise

Le samedi après l’instruction où il a failli se faire déboîter la mâchoire par le sergent instructeur de close-combat : le chien est là qui l’attend près de la tente | un croisé de berger allemand et de quelqu’autre race | jeune semble-t-il, le pelage foncé

Le vendredi, pendant l’entretien des armes, protégé du soleil par une paillotte | d’où il vient çui-là | un كلب  | kelb langue pendante et l’imploration dans les yeux | il lui donne à boire

Le jeudi, journée vide à 45° | attente des ordres on parle d’une mission de sécurisation d’un convoi | ennui, appréhension

Le mercredi | jour de mercure halluciné à 49° | le champ visuel n’est qu’ondulations, économie de mouvements, apathie | l’eau donne la dysenterie

Le mardi mouches indolentes nombreuses se posent chacune à leur tour sur les bras le visage les jambes | nouvelles récentes des postes-frontières harcelés et du barrage attaqué

Lundi | bouclage silencieux d’un village après arrivée sur zone tôt le matin, marche de nuit, anxieux | fouille de la palmeraie et du ksar | arrestation des rebelles, des ravitailleurs, des agents de liaison et des renseignements | aurait préféré rester à bord

Codicille : je poursuis l’écriture archéologique d’un militaire durant la guerre d’Algérie. La proposition de François m’a été difficile, m’obligeant à rompre avec la dynamique engagée. L’écueil est toujours fructueux.

A propos de Bruno Lecat

Amoureux des signes dans tous leurs états.

5 commentaires à propos de “#L6 Le chien”

  1. Difficile mais pour quel résultat ! je pourrais lire un livre entier tout écrit comme ça, sous forme de journal, de tous ces petits détails qui n’ont l’air de rien, mais qui disent beaucoup.

  2. Ca m’évoque les lettres de soldats dans l’essai « L’ennui, un état d’âme. » Un ennui lourd de tensions, dans ces détails du quotidien qui n’en est pas un. J’aime beaucoup

    • S’agit-il de  » L’ennui, histoire d’un état d’âme – XIXe-XXe  » ?

  3. Merci beaucoup de votre lecture et de cette référence que je ne connaissais pas. J’en prends note…