#L7 | épluchage

Entre carnets, feuilles volantes, mémo téléphone, conversations, échanges, retrouvailles, découvertes, essais, jeux, colères, photos, voyages, tenter un épluchage pour y voir plus clair…Ou au moins faire remonter à la surface un peu du trouble qui préoccupe mon écriture.

Déjà un peu le passé

J’ai commencé par écrire un train. Les trains sont essentiels dans la géographie de ce livre. J’aurai du mal à avoir la même passion pour les voitures, ça a commencé avec un train et ça continuera avec des trains.
Cinq voix se sont détachées. Quatre de femmes et une d’un personnage plus flou.
Le personnage le plus flou est l’intrus : celui qui arrive, celui qui abîme la nature environnante, dont on ne saisit pas bien le visage dans le miroir, qui a les yeux bandés lors d’une partie de colin-maillard et qui se permet de fouiller dans l’intimité d’une maison à la recherche de sa propre image. Il est plein de mépris.
La nature prend une place considérable, en particulier pour les voix et silhouettes féminines.
Il y a d’ailleurs des passages dans les paysages. Ces passages connus seulement par les femmes, notamment un chemin dans les massifs de fleurs.
Une envie d’exister qui est empêchée (par qui, par quoi, on ne comprend pas bien).
Une femme en aime une autre.
Problèmes de communication, de toute façon, si tout le monde se comprenait, il n’y aurait pas possibilité d’écrire.
Même si déjà beaucoup de monde, paraissent plus ou moins seul·e·s.
Les couleurs et les lumières. Les couleurs de la nature, plus ou moins ternes pour le moment. Les lumières et leurs effets sur les visages et les émotions.
La pluie qui fait déborder et donc « range » les corps et les pensées.
Il y a eu un vol de bijou et un ramassage de bouton. Une bouteille de lait sans doute brisée. Le matériel compte.
De la cruauté.
Des bouts d’histoires amorcées par des détails
Déjà deux papillons sont morts.
Des corps sont abimés, laids. Des corps juvéniles. Des corps qui ne sont pas là pour être observés.
D’autres ont été pris en photographies, et on sent qu’il y a là un enjeu pour au moins un des personnages, le plus flou.
Quelqu’un a voulu figer les traits d’une femme qui s’auto-décrit comme une bête, et ce quelqu’un a raté.
Il y a eu des choix de solitude, et la solitude involontaire qui écarte des autres.
Une timide mise en abime.

Dans un futur proche, sans doute (?)

Trois de mes voix évoquées ont un avenir solide dans la narration ; faire de la quatrième voix quelque chose de mouvant, fluide, circulant tout le long.
Soit évoquer ce qui lie mes personnages d’emblée, soit en apporter des fragments au fur et à mesure.
Partir au nord et retourner en ville sont des déplacements nécessaires.
Des chemins pour les emmener ailleurs, pas forcément là où on les imaginerait.
Un endroit où l’enfermer.
Ce qu’il y a de tragique dans les évènements sociaux.
Le phénomène de l’emprise.
Le pouvoir de suggestion.
Des histoires que l’on se raconte.
Les rituels.
Comment les usines ont eu un impact sur les phalènes et autres petites choses dites sans importance.
Trois endroits ; sud, ville, nord. S’installer bien dans le sud, détailler, s’y faire un nid. Et puis au moment où j’arriverai à une certaine tranquillité ou plaisir, il me faudra partir vers le nord. Et changer, radicalement.
Les faire parler sans s’accaparer leurs voix pour faire passer la mienne.
Des envies de femmes. De personnages, de voix, d’histoires, d’amour, de peur, de rage. Des envies de femmes parce qu’elles poussent la machine vers l’avant tout en prenant le temps d’observer, de faire des pauses, d’être en suspension.
Récupérer les épisodes écrits comme l’amorce de ce projet, en retirer les certitudes et garder le doute qui y subsiste.
Concrètement ; les premières visions du réveil, les souvenirs de l’enfance, les observations du monde, une attente, des traversées.
Les violences. L’enfance. La discipline. Les corps des femmes. L’extraordinaire dans la réclusion.
La nature gagnera tout.

Présent : ce qu’il en est

Ce projet me vient d’un voyage qui n’a pu se concrétiser. Quelque part, plus ce voyage est repoussé, plus je suis en mesure d’écrire. Du moins c’est ce que je me raconte.

Il y a même cette idée assez terrible que si je pouvais réaliser ce voyage qui me tient tant à cœur, alors je serai incapable d’écrire. Comme si la concrétisation de ce voyage casserait l’illusion formée par mon écriture.

Ma rigueur en terme d’écriture est très relative. Il y a tout ce qui bouillonne dans la tête, quand je pose un mot, une expression, quelque chose à retenir… C’est sur un tas de petites feuilles que je récupère, des brouillons, avec au recto des traces d’une période révolue. Et tout se mélange, et je perds les feuilles, et quand je les retrouve je n’ai pas la moindre idée de ce que j’ai voulu écrire.

Je tiens depuis un an un journal de mes rêves. Un peu le même effet que les feuilles de brouillon, c’est très vite le grand n’importe quoi. Dans période de formation ou de stage, mes rêves sont plus fournis et je prends le temps de les noter. Dans mes périodes de vacances ou de week-end, le relâchement est évident (et assez bête dans le fond, je perds une matière précieuse).

Les lieux sont des miroirs ; les régions sont jumelées. Les lieux sont des souvenirs à épuiser. Aussi, de mes quelques séjours londoniens, j’en tire une carte précise de sensations (entre autres).

Je découpe dans les magazines ; des lettres et des images. Je colle. L’aspect matériel de cette pratique me permet d’écrire dans ma tête, de laisser les idées infuser.

Pour appréhender les personnages, me revient avec une certaine évidence ma dizaine d’années de pratique de jeu de rôle en ligne. La conception appuyée des personnages reste pour moi un pilier important. Il ne suffisait pas de se choisir un nom, une apparence ou une fonction, peut-être au début, mais très vite ai rencontré mes pairs, avec cette même volonté de créer un personnage que l’on incarnait vraiment, et puis avec le temps, pousser si fort, ne plus se contenter d’être un personnage mais au moins dix, avec dix noms, dix histoires, dix façons de penser…Encore plus. Se multiplier, repousser la limite de l’imaginaire, aller jusqu’à se renseigner sur la véracité des noms, les endroits de naissance, les habitudes, les coutumes religieuses, l’histoire des sociétés, les espérances de vie. Créer des souvenirs. Des odeurs. Des sensations. Apprendre le code pour « faire vrai » quand notre personnage geek résout une enquête. Tiens d’ailleurs, pour l’enquête, faut relire sa Christie, son Conan Doyle. S’agirait pas que l’un des personnages de flic puisse la résoudre avant le détective, faut lui laisser sa chance à celui-là. Avec le temps, on fera plus calme. On tentera d’épuiser le réel. Le temps. Des corps vrais, au bout du clavier. D’abord vouloir plaire, ensuite vouloir provoquer. Et faire vrai. Imiter la réalité pour mieux la dépasser. Et faire avec les autres. A la fois limites et impulsions. Vouloir emmener quelqu’un quelque part, être empêchée par une autre joueuse…Avant de réaliser qu’elle trace peut-être un chemin dans lequel on aimerait finalement bien se promener.

Des envies de décrire mes personnages avec plus de prudence, de retenue. Par touches de couleurs. Vouloir en créer des nuanciers.

Relecture importante, pas forcément la mienne, celle des autres. Ne pense pas à exploiter quelque filon que ce soit, c’est plus dans l’idée de maintenir un imaginaire à vif.

Réalise qu’avoir des certitudes est vain ; le moindre mot que je croise fait basculer ce que je pensais. Ce n’est pas la fragilité de l’écriture, oui ça me dépasse

A propos de Alice Diaz

Enfant, veut être litote. Adolescente, passe beaucoup de temps derrière les écrans à créer des mondes et des personnages. Participe à des ateliers d'écriture. Expérimente la photographie. Fière membre du Castor Magazine. Educatrice spécialisée en devenir. Tient un blog où elle cherche à faire signe.