#L8 Lyrisme dans la ville

A regarder une nouvelle fois cet autre point d’intersection que constitue l’endroit précis où le train s’engouffre dans le tunnel, elle se rend compte qu’il y a également une gare en surface, sans doute certains types de trains s’arrêtent-ils en surface et d’autres sous terre, elle ira voir plus tard sur le net, se disant qu’à une autre époque elle se serait procuré un horaire des chemins de fer et l’aurait consulté dans cette chambre d’hôtel, probablement assise sur le lit, face à la fenêtre qui donne sur l’immeuble d’en face, encore quelque chose qu’elle ne connaît pas de sa ville ou si peu, les gares, elle n’emprunte quasiment jamais le train alors qu’on peut le prendre pour se rendre d’un point à un autre de la ville comme on prendrait le métro, la voie ferrée traverse toute la ville du sud au nord et vice-versa en passant par la gare située en contrebas de l’hôtel,  cependant, pour elle, prendre le train c’est sortir de la ville ou y revenir, c’est synonyme de voyage, de vacances ou encore d’aventures et pourtant ce qu’elle s’apprête à vivre durant son séjour dans cet hôtel tient de l’aventure, certes une aventure urbaine, à faible risque, mais une aventure quand même et d’ici quelques instants, elle s’armera de son appareil photo, descendra observer cette gare de plus près, prendra sa première salve de photos telle une entrée en matière, un tour de chauffe parce qu’il faut bien commencer quelque part et pour l’instant, à peine levée d’une nuit sans rêve, elle se retrouve de nouveau face à la large fenêtre rectangulaire, en effet, que peut-on faire d’autre dans ce genre de chambre d’hôtel si ce n’est regarder par la fenêtre et à présent qu’il fait jour, elle se rend compte que le bâtiment où est situé l’hôtel se reflète dans l’immeuble d’en face comme celui qui fait angle avec lui et le ciel aussi, d’un bleu profond, bleu cobalt pur, parcouru de cumulus, seule manière pour elle de prendre connaissance de la météo, de sa chambre située au 2e étage, même en collant son visage à la vitre, elle n’aperçoit pas le ciel, elle regarde son reflet dans les vitres, il est aussi intense que s’il s’était agi d’un miroir, elle songe tout à coup au nombre de photos qu’elle a déjà prises de reflets dans des immeubles vitrés, impossible d’avancer un chiffre tant il y en a, ce sont des images qui l’attirent et la subjuguent par leur nature insaisissable, mouvante, parfois spectrale à certaines heures de la journée et sous certaines conditions atmosphériques, couleurs translucides qui s’entremêlent, s’interpénètrent ou parfois forment des surfaces qu’on dirait opaques, pareilles à d’immenses panneaux métalliques glabres, ou des géométries doubles ou triples, des images qui constituent des mondes à elles seules, des fantasmagories où son œil se perd avec une délectation sans cesse renouvelée, tant il est vrai qu’on peut faire dix fois la même prise de vue, dix jours de suite, à la même heure, on obtiendra dix images totalement différentes, d’ailleurs elle a  déjà songé à faire un livre rassemblant de telles séries, chaque photo comporterait une description précise dans un style mi-littéraire mi-télégraphique, elle pourrait commencer pendant son séjour dans cet hôtel, quelle heure est-il, 9 heures 30, c’est parti, ce sera le premier cliché d’une première série, ensuite, elle descendra photographier la gare.

A propos de Catherine K.

Mon nom complet est Catherine Koeckx (prononcer Kouks). Citadine depuis toujours mais avide de nature et de grands espaces que je partage par la photo ou l’aquarelle (www.catherinekoeckx.be), je suis aussi passionnée par la ville (@bruxelles_autrement). Bruxelles mais pas que... J’ai publié Le Guide lovecraftien de Providence en 2021 (disponible sur Amazon.fr ou sur commande privée). Je viens de lancer mon blog littéraire Itinéraires pluriels (https://itinerairespluriels.wordpress.com).

3 commentaires à propos de “#L8 Lyrisme dans la ville”

  1. Lost in translation… impressions intimes, géométrie libératrice de la ville vécue avant même de sortir de la chambre, renifler sentir les formes des immeubles à travers la vitre, résurgences de souvenirs d’Allemagne je ne sais pas pourquoi. Une vie intense, soudaine. Merci Catherine !