P#3 Mange le feu

Manger l’ardeur à belles dents. La croquer sans retenue, sans frilosité. Jouir de l’éclatement, puis de la pulvérisation des sensations du feu. Mange le feu. Faire rougeoyer les muqueuses de la bouche fait trembler tout le corps. Le mental également est feu par extase. Allumer l’interne de la langue au palais. Le feu. Mange le feu. Remonter de saut en saut les strates volcaniques du magma aux braises, de la lave aux cendres. Les redescendre en désescalade pour calmer le feu. Mange le feu. Attiser jusqu’aux larmes la matière et le piquant du fruit fait vibrer les puissances des lèvres et des mâchoires. Surprise renouvelée par la force du feu. Mange le feu. La cavité buccale se dissocie du reste de la tête. Elle prend sa vie dans l’embrasement autonome. Vif, donc, le piment occupe le terrain en un instant. Rapide et suspendu au feu. Mange le feu. Les flammes paralysent les joues en les colonisant sans pitié. Une terreur qu’on croit sans fin capture l’esprit coupé de la réflexion. On pense mourir sur le bûcher. Le souffle court sur les charbons du feu. Mange le feu. Une carnation écarlate explose. Se répand sur les plis du visage tordu. Douleur circulaire. Violence de ce poivron du diable qui fait palpiter. Prisonnier dans des lacs de feu. Mange le feu. Enfer, bonheur d’enfer du dernier cercle du goût. Comment ne pas perdre la face sinon à continuer le divin supplice. Persévérer jusqu’au gel. La coupure du feu. Mange le feu. De tant souffrir, je ne le peux. Mange le feu.

A propos de Fil Berger

Fil Berger, je, donc, compose les textes qu’il écrit avec des artefacts sonores et graphiques et ses pièces musicales avec des artefacts d’écriture et graphiques. Le tout cherche, donc, une manière d’alchimie modeste située entre ces disciplines. Il a publié des livres d’artiste avec le plasticien Joël Leick chez Æncrages et Dumerchez. Quelques revues comme Paysages écrits, Traction Brabant ont retenu des textes. Il a travaillé et composé des pièces musicales documentées sur CD. Il a partagé pendant plus de vingt ans des moments de création avec des chorégraphes, des plasticiens, des auteurs, des improvisateurs et des compositeurs. Il a animé des ateliers d’écriture et de partitions graphiques avec des personnes de toutes sortes. Fil Berger, je, donc, est un improvisateur qui compose et performe en forgeant ses propres outils, ses champs lexicaux, ses instruments, sa présence au monde en les mettant sans cesse en variation continue. Son travail est la recherche de convergences multiples entre... l’idée et la pratique du « baroque » et... la pratique et l’idée de l’insurrection « œuvrière » autonome.

8 commentaires à propos de “P#3 Mange le feu”

  1. chamanisme insurrectionnel collé cool à la peau de la vie ! ça me parle, bon sang, tes trucs, amigo ! dans le fond, perso, je ne demande pas autre chose, moi, aux textes, livres, etc. : qu’ils soient des machins choses comme celle-là : des trucs vivants et vifs, des flux épais mais qui coulent… on dirait une belle impro musicale… en tout cas, pour moi, c’est de la grande et belle musique, ton truc ! suis tout réjoui d’avoir lu cela, vraiment ! rebises à toi, amigo !

    • Merci pour cette belle critique, Vincent.
      Je suis content que tu aies senti la musique improvisée dans ce texte.

  2. Ça dépote. Pas tout analysé, pas tout compris sûrement, mais pris par le flux des mots, le flot des… Fait chaud tout à coup…

    • Oui, JLuc, le piment, c’est comme des griffes dans la bouche !
      Merci pour votre parole !

    • Bonjour, Brigitte,
      aimer cette chose qui nous fait souffrir
      pas loin de l’extase…
      Merci !

  3. On s’imagine : de petits personnages en pagne qui sautent au refrain et s’exclament : « mange le feu! » puis continuent leur ronde en tressautant, et un vieux bonhomme sage ou une sorcière qui déclame le reste du texte.

    Au fond, au fond, s’pa mal.

    • Oui, Marion, c’est exactement ça : la transe !
      Merci beaucoup pour votre lecture si juste !