#L8 – Pariétal

H

Horaires d’hiver, de printemps et d’été  les saisons sont biffées au cutter et  le mur de l’abribus s’effrite. Il scrute le mur, la truelle a gâché sans lisser : pointes dures, cailloux amalgamés, sillons; mur qui se hérisse, se creuse, se troue et dans leur cadre les horaires jaunis : les chiffres déchirés à la lame — 08H45 le lundi un aller pour T. en moins d’une heure. Un bus assure le retour à 18H15: les mardis jeudis et vendredis précise l’horaire. Dans sa peau, il la devine. C’est une main, d’une taille d’enfant, qui s’est posée dans le plâtre frais pour le plaisir de toucher e. C’est une main surprise dans la matière: quand la mère boulange, poser la paume, la presser puis la retirer;  elle ne doit pas s’agglutiner, se déposer sans s’amalgamer, et prendre, laisser une trace dans la pâte. Appliquer la main le temps qu’il faut pour qu’apparaissent, la forme de la paume, ses lignes, le contour des doigts (là courts et potelés; et le pouce s’incurve, l’index dépasse même le majeur). Empreinte pariétale infiniment reproduite. Trace dans la matière qui fera pain. Cette pâte tendre que la mère couvre d’un linge pour qu’elle lève. Qui disparait sous l’étoffe prise au drap usé de songes, de passions mortes. Au drap battu à la  pierres du lavoir, et pendu, brûlé, repassé, plié et replié pour être encore étendu et lissé du plat de la main; qui fut nappe des grandes occasions — quand trop de monde arrive et qu’on a plus rien à mettre sur la table— ou suaire ; drap du trousseau d’Angèle, de Maria ou d’Adélaïde morte en couche, drap devenu chiffon, torchon ou fichu car chez elles rien ne se perd. Ou geste qui se dépose dans le  plâtre, quand l’ouvrier s’arrête et qu’il dit que c’est fait, et même bien fait : Oui, fini qu’il dit encore, qu’on y reviendra plus; qu’il recouvre l’auge à gâcher d’un morceau de bâche ou de toile à matelas, et qu’enfin il sort sa boite à tabac, une blague on dit — l’enfant ne connait pas le mot ou bien il l’entend autrement —  une boite rouillée à ranger les aiguilles, les grandes avec quoi l’on ravaude, qui servait précise l’ouvrier, c’est quand on raboutait, quand on piquait et repiquait “avant, dit-il”,  et il roule le tabac dans la feuille, puis tire une flamme de ses doigts pour éblouir l’enfant, et  quand il souffle  la fumée se teinte de la couleur du ciel. Alors l’enfant tend sa paume vers le mur « Voyons, ne touche pas entend-il en dedans » (mais c’est trop tard n’est-ce pas ?)  et  il pose sa main. Il la fossilise. Empreinte délictueuse, tremblement de sa vie. Ce n’était pas un mirage ; une semaine avant que l’homme arrive dans l’abribus un ouvrier était venu avec sa truelle, il avait fait le boulot, n’était bon qu’à ça, le disait à qui voulait l’entendre: ” bon qu’à ça “: reboucher, rafistoler. C’est quand il a rangé l’outil, et qu’il a déguerpi sur sa moto, quand il a roulé vers — et maintenant il faut rouler longtemps — le bar de la route  des crêtes ; c’est quand il a bu — et il boit  verres sur verres pour s’emplâtrer la tête comme on rebouche un mur — c’est quand il a tourné les talons que l’enfant s’est glissée dans l’abribus et qu’elle a posé sa main dans le plâtre encore humide… C’est dans une gare routière. Un homme arrive. Il attend dans un abribus le passage d’un bus

Tenté de fatiguer le texte. C'est le grand bazar. Je laisse en friche "grammaticale " ( trop à apprendre de toute façon) juste le sentiment de laisser émerger un soupçon de matière pour après (après quoi? après qui? après tout pourquoi pas)

A propos de Nathalie Holt

Rêve de peinture. Quarante ans de scénographie plus loin, écrit pour lire et ne photographie pas que son lit.

6 commentaires à propos de “#L8 – Pariétal”

  1. Vestiges et vertiges : vos soupçons de matière Nathalie Holt livrent des »tremblements de vie » avec la force de la pâte qui va faire pain. Quelle puissance vous avez de lever ainsi nos émotions. Merci Nathalie Holt.

    • Pousser ou fatiguer la langue. Ce n’est pas gagné. Merci beaucoup pour le retour Ugo

  2. Comment l’effritement, les cassures créent paradoxalement du lien… un lien si fort, jusqu’à la découverte de cette main. C’est vertigineux. Et tellement bien écrit. J’adore ce que vous dites sur « Bon qu’à ça. Reboucher, rafistoler », comme un regard porté sur le métier de raconter, et « boire pour s’emplâtrer la tête », la pâte qui fait levain dans dans tout ce que vous touchez, modelez… Merci pour cette étrange veillée rupestre

    • Chère Françoise Veillée rupestre: ça me plait – Merci de cette lecture bienveillante !

  3. J aime cette attention aux murs aux mains et aux rebouchages qui s opèrent par la truelle et la plume…hallucinant.