#enfances #00 | La baïne

Ciel blanc, pins alignés, jour monochrome. Point de couleurs dans la forêt de Gascogne. Elle cherche, ne les trouve pas, trouve ça étrange, imagine qu’il y a forcément du vert quelque part, du vert pour camoufler les branches, un coin de ciel bleu aussi, même délavé, du bleu en toile de fond pour les nuages. Et du jaune, boudant l’ocre, vaporisé sur les grains de sable de la Lande. Sans oublier le marron des pommes de pin à la robe d’écureuil, aux épines enkystées dans la chair du bois, des pommes que l’on ne peut ni croquer, ni écailler, caresser à peine. Elle perçoit leur voix s’insinuer dans l’intervalle de ses pas. Celle de sa mère, cristalline, chantante, celle de Tarek grave et hésitante. Tarek, elle n’aime pas … son visage carré, ses cheveux plaqués sous le gel, il est presque aussi grand que son père, peut-être aussi beau si ses yeux n’étaient cachés derrière de grosses lunettes noires. Comment parler sans peur à une tête de mouche grossie 100 fois sous la lentille d’un microscope ? Ces lunettes noires cachent un secret. Tarek est aveugle, une blessure de guerre ou un accident de moto ? Elle s’en moque. Ce qu’elle veut vraiment savoir c’est ce qu’il voit.  Rien ? Impossible, alors quoi ? Du noir, vraiment, ou du blanc laiteux comme la glaire de l’œuf jetée dans le bol avant d’être battu en omelette ? Elle craint de voir le néant du monde. Tarek lui fait peur, oui, pas qu’un peu… voilà tout.
        

Elle peine à comprendre leurs mots, son attention prend l’air, son oreille vagabonde jusqu’à être happée par le grondement de l’océan. L’Atlantique est tourmenté, il n’est pas bon d’y nager. Dans sa tête, elle entend son père la mettre en garde. Il parle de ces imprudents qui en courant vers la mer sont engloutis par un trou et au fond du trou une force invisible leur happe les pieds, les étouffe et les fait disparaitre. Et si Tarek a creusé des galeries souterraines pour aspirer les enfants trop encombrants ? Et si Tarek est un ogre qui dévore les petits Bordelais, un menteur qui va faire du mal à … Elle perd le fil. Le souffle du vent efface la voix de sa mère…

-Maman, maman ? 

Le chemin est vide, sans craquement de brindille, sans froissement de feuille, sans pomme de pin qui tombe du ciel… Vide sur fond blanc et sous menace d’océan. Elle n’a pas semé de cailloux : il n’y a pas de caillou dans la lande et les miettes de pain, sa mère oublie toujours son goûter. Mais y aurait-elle pensé ? Elle aurait dû y penser, quelques miettes de pain c’est mieux que rien pour retrouver sa mère…
La baïne l’aspire,- T’es où, maman ?

La baïne l’étouffe, -Maman, maman,

La baïne la liquide…

A sa droite, le buisson crache deux silhouettes se tenant par la main.

A propos de George H

Journaliste, podcasteuse et animatrice d'ateliers d'écriture, j'aime marier réel et poésie, voix et théâtre. J'espère toujours écrire le Livre, mais le temps passe et presse-citron. Il me faut aller jusqu'au bout... Je compte sur moi et aussi sur l'énergie du Tiers Livre. Un site ? Oui, pourquoi pas : https://www.son-d-encre.com/