Mon visage ne m’appartient pas…

Il fait nuit et je ferme les yeux pour ajouter ma nuit à la nuit de la chambre. Je parcours en aveugle les lignes de ton visage endormi.  J’aimerais pouvoir me targuer d’en connaître par cœur les aspérités, d’en avoir surpris la première ride. Ton visage est le mien. Dans la nuit tu me fais face et je sculpte ton visage. Je me fraie un chemin dans ses lignes : la courbe du nez, la fente et le pourtour des lèvres, la petite cicatrice à la commissure. Les yeux, fermés au monde extérieur, à la nuit de notre chambre. J’aimerais pouvoir être ta bouche, être tes yeux, respirer par ton nez. Ton visage est le mien. Avant que le jour ne vienne délaver la nuit et ne vienne découper comme chaque matin les courbes de ton corps, je m’aventure une dernière fois sur les méandres de ta peau, j’effleure délicatement les paupières fermées, légèrement bombées, je caresse les lèvres qui frémissent, je m’approche et respire ton visage. Je le happe. Pour qu’il ne disparaisse.

*

Ton visage noyé

Sous l’averse

Où sont les larmes

*

Dans tout ce blanc, à hauteur de visage, à même le linceul, un éclat de bois brun, d’ocre jaune et de terre rouge : sur une planche d’acacia ou bien de figuier de sycomore surgit une princesse égyptienne. Cheveux relevés, tressés, sertis d’une fine cordelette couleur or, boucles d’oreilles, perles, pierres précieuses, gouttes blanches et noires, collier ouvragé qui sertit parfaitement le cou, pendentif, tunique orange. Le regard se tourne vers la gauche. Elle ne consent pas à regarder le peintre. Elle ne cède pas. Elle est fière. Le port est altier. Elle ne s’en laisse pas compter. Elle avance quoiqu’il en coûte. Ainsi a-t-elle toujours fait. Sûre d’elle-même. Défi lancé en pied-de-nez à qui veut bien la regarder à la vie à la mort.

*

– Ça n’ira pas.

– Comment ça, ça n’ira pas ?

– Je les ai faites chez un photographe professionnel. Il a l’habitude. Il m’aurait dit.

– J’ai peur que ça ne passe pas, avec les lunettes. Ca n’ira pas.

– Mais il me le faut rapidement.

– Justement. Ca n’ira pas. Il faudra recommencer. Il faudra encore compter un mois.

– Vous me conseillez donc de les refaire…

– Je crains que oui. C’est plus prudent. Non décidément ça n’ira pas.  Il faudra recommencer…

*

Tu as beau faire, ton visage ne t’appartient pas. Même capturé par les miroirs et les reflets, même saisis dans des instants photographiés ou filmés. A la merci des autres visages, ton visage t’échappe, te fuit. Il n’est que représentation sans cesse médiée. Il n’est que ce que l’on veut bien voir de toi. Ton visage s’offre à l’autre. Irrémédiablement étranger à ta propre perception immédiate. Qui veut en fait ce qu’il en veut.

A propos de Émilie Marot

J'enseigne le français en lycée où j'essaie envers et contre tout de trouver du sens à mon métier. Heureusement, la littérature est là, indéfectible et plus que jamais nécessaire. Depuis trois ans, j'anime des ateliers d'écriture le mercredi après-midi avec une petite dizaine d'élèves volontaires de la seconde à la terminale. Une bulle d'oxygène !