noces

Louis 

Les yeux en chute dans la figure émaciée, l’orgueil cède à l’absence.
En son for intérieur la mer s’agite violemment sous la nouvelle lune, dans les vagues des cétacés furtifs. 

Chaque jour son reflet le surprend, Pauline a noué sa cravate, lui il a oublié comment on fait.

Oh son regard je l’oublierai pas oh la peur ça je peux pas l’oublier non on aurait même pu mourir tous dans les vagues et la médaille c’était bien qu’ils me la donnent oh quand je reprends mon souffle ça fait mal oh ma petite Pierrette sur les genoux d’Andjula Santa j’aurais bien envie de lui mordre les joues quelle malicieuse oh ma signurella maudite la guerre oh mais ça fait mal encore

Pauline

Peau blanchie, pommettes hautes crémées de fard rance, sourire doux d’avant les drames.
En son for intérieur la frondaison rose des châtaigniers dans le couchant, un archange porté par un vent calme lui sourit.

Sur un bout de table elle étale la pâte, avec la roulette découpe les triangles dentelés qu’elle plonge dans l’huile bouillante, qu’elle saupoudre de sucre. Elle rassemble les petits bouts de pâte crue qu’elle étale à nouveau, elle en porte à sa bouche qu’elle laisse fondre doucement entre la langue et le palais. Elle dresse les frappes comme une montagne.

Au village ça en aurait eu de l’allure, il y en aurait eu des bouquets d’immortelles sur les tables, il y en aurait eu du soleil brillant pour tout le monde et se marier en noir quand même mais qu’elle est jolie Félicité et puis le noir ça cache un peu le rond de son ventre, chì vergogna, sont-elles maudites les femmes chez nous à se marier deux fois toutes, moi je n’en voudrais pas d’un autre homme, si mon pauvre Louis s’en va je crois que je préfère rester veuve, Dieu nous garde.

Antoine 

Les sourcils comme des vagues inquiètes, les prunelles tristes sous le front haut, la commissure des lèvres à peine retroussée. 
En son for intérieur une murmuration d’hirondelles au-dessus des montagnes impassibles, un grand rassemblement, un signe.

La noce de Titus et Lili en quatre rangs devant le photographe. Les nuques droites. La gerbe immense posée sur les genoux de la mariée. Le ravissement des enfants postés au premier rang, les mains des petites gantées de blanc, leurs cheveux enrubannés. 

Ils sont beaux les orgueilleux. Est-ce que ce mariage c’est heureux ? Tout de même elle a l’air bien cette Lili, elle est belle femme, si paisible, infirmière c’est un métier, un beau, peut-être même qu’elle voudra rejoindre mes patriotes, mais méfie-toi de l’eau qui dort. Titus il me dira. J’en parlerai demain, la petite Dulong aussi, elle me donnera un avis fiable, c’est certain. Est-ce le vent qui se lève ?

A propos de Caroline Diaz

Née un 1er janvier à Alger, enfant voyageuse malgré moi. Formée à la couleur et au motif, plusieurs participations à la revue D’ici là. Je commence à écrire en 2018 en menant un travail à partir de photographies de mon père disparu, aujourd'hui c'est un livre, Comanche. https://lesheurescreuses.net/

6 commentaires à propos de “noces”

    • toujours les doutes, et puis la gravité autour d’Antoine, je me sentais incompétente mais avais envie d’aborder le sujet, me suis jetée, c’est un peu grâce à vous, merci Brigitte !

  1. Bonne idée ce choix de les faire parler et on est d’emblee dans leur tête. Et c’est pas évident. Mais ça impose présence ce choix du je. Je n’y ai pas pensé. Merci

    • le monologue me posait question, mais pas celle du je, maintenant ça me trouble, espère que la 8 m’éclairera puis qu’il est question que le monologue revienne 😉
      merci Anne