On vous écoute #L2

Regarde-toi parlant tout seul, les yeux sur l’intérieur des doigts, les lèvres remuent sur ta prière du jour. Les urgences de la Cavale Blanche déploient pour toi sa carcasse de vieux hall de gare. Chacun y porte son lot de souffrances, d’ennui de solitudes, de bobards, de détails qui piquent, de morsures, de ballets-brosses, de furie, d’hystérie, de secrets, de bateau-mouche, de vieux souvenirs, de rancœurs, d’accidents, de batifolages, de geignardises, de vraies blessures, ça arrive. Et ça arrive de partout : des entrepôts, des quartiers, des pont-levis, des fenêtres du rez-de-chaussée, des porte-avions, des bateaux de pêche, des couloirs d’immeuble, des chantiers navals, des magasins, des librairies, des mansardes, des bars, des PMU, des bistrots, des tripots des boîtes de nuit, des départementales, des petits dancings. La mer est toute autour, elle cahote et bat son plein, crache sur tous les visages. Elle grisaille en flottilles, farouche emmerdeuse qui te balafre le cœur avec une de ces poignes, la joie au bide toujours, te communiquant cette joie de dingue alors qu’il fait 14° tout l’été et que rien ni personne ne se présente à toi. La mer elle te savonne la trogne de son odeur d’iode comme des effluves de dogue. The Black Dog runs at night. Elle ondule et savoure sa pleine indépendance, large embarcation de festins, de daurades, de mulets de maquereaux, de dauphins. Elle aspire l’itinéraire de Fred qui s’est foulé la cheville méchamment parce qu’il courait pour prendre le TGV de 5h07, elle aspire la cargaison d’ouvriers qui se sont cassé la gueule du haut du toit parce qu’ils ont picolé toute la nuit, elle aspire la divine beauté d’une jeune Comorienne qui s’est pris un coup à la tête alors qu’elle essayait de fuir la maison close, elle aspire ton choc à la vie à la mort, le ventre devenu poussière, ton cœur cuit vapeur, elle dilue le sang trop lourd qui suinte dans les tuyaux, elle te souffle une comptine à l’oreille, elle s’endort sur ton épaule. « Désolée pour l’attente… s’il vous plaît, vous m’entendez ? c’est le tympan. La radio révèle qu’il est percé, mais généralement la perforation est réversible car la membre se répare toute seule. » Lever les yeux et voir la douce articulation des mots, la lumière de la peau, les grands sourcils redessinés très noirs, le mascara comme de grands aplats de goudron sur une barque, des yeux pharaoniques. « Il faudrait déposer plainte. Vous sauriez le reconnaître ? »

A propos de Françoise Breton

aime enseigner, des lettres et du théâtre, en Seine-Saint-Denis, puis en Essonne, au Cada de Savigny, des errances au piano, si peu de temps pour écrire. Alors les trajets en RER (D, B, C...), l'atelier de François Bon, les rencontres, les revues, ont permis l'émergence de quelques recueils, nouvelles, poèmes. D'abord "Afghanes et autres récits", puis en revues "Le ventre et l'oreille", "Traversées", "Cabaret", "La Femelle du Requin"... Mais avant tout, vive le collectif ! Création avec mes anciens élèves d'Aulnay-Sous-Bois de la revue numérique Les Villes en Voix, qui accueille tous les textes reçus, photos, toiles...