une vie. extraits.

Je le dis ce matin ce matin qu’elle est venue, alors c’est l’été je crois alors c’est l’ivresse rouge, les chants d’oiseaux devenus fous quand s’efface la nuit. C’est après la lente usure de l’obscurité son poing entre mes omoplates, ses serres au bas de mon dos, alors c’est la fatigue brute, sourde, tassée jusque dans tous les recoins du corps alors c’est comme le foin bourré dans les sacs de jute pour l’entraînement des joutes sur le fleuve, alors c’est comme elle déborderait se répandrait de mes coutures crevées, alors je le vois c’est l’été je vois les fragments du jour d’été suspendus dans l’encadrement, la lumière étrange son odeur d’encore frais où s’allument les premiers filaments de chaud, alors c’est l’odeur poussiéreuse du café au fond de la boîte métallique, alors j’allume la cigarette pâteuse et âcre ; alors les voix nouvelles bousculent avec leurs bonjours alors je suis de trop. Alors il y aura bientôt se coucher et oublier alors couler comme le plomb. Alors comme toujours. Alors recommencer.

Elle écrit mordillant le bout du crayon : si tu voyais l’ici c’est une autre vie presque. Elle écrit toujours avec un vieux crayon elle aime le glissant infime sur le papier, et jusqu’aux débris que ça fait le crayon mâché remâché, sur les lèvres, la langue, le goût de salive amère, la souplesse tiède de ronger le bois du bout des dents tout comme si c’était de sucer encore, entre envie et dégoût, les bâtons réglisse et leurs fibres rêches dans la bouche avec tout le jus…

J’entends la ville trembler. On tombe dessus depuis la rue ancienne (maisons à colombages et encorbellements – façades à meneaux et croisillons, pavés de teintes douces – au milieu comme un chemin de grandes dalles plates et claires, je pense des écailles.) Arrivé sur la place la ville tremble s’ébroue frissonne maintenant donne de grands coups de butoir qui remuent à l’intérieur de moi, derrière la peau, comme une doublure d’ondes. La fille avance à grands pas déterminés je les vois bien plantés, (je pense guerrière, oui, des pas de bataille poussés durs devant elle depuis ses cuisses un peu épaisses, les collants noirs troués et les pastilles de chair. Plus j’avance plus les murs les venelles les carreaux vibrent fort. Quand elle passe à ma hauteur la ville explose. Elle n’a pas ralenti. Le ghetto-blaster coincé sous le bras comme un sac à main. Maintenant la ville meurt peu à peu, s’enfonce dans le silence. Elle est loin.

Le protocole bonnes pratiques marche à suivre recommandations des Hautes Instances indique que passée la seconde porte du sas il convient de retirer tous les objets personnels afin de réduire au maximum les risques suicidaires, il est impératif de soustraire également tous les effets personnels « enlevez votre culotte aussi s’il vous plaît » toujours pour les mêmes raisons, donner à enfiler la chemise d’hôpital « tenez mettez ça s’il vous plaît » dans les cas extrêmes l’utilisation de matières (draps compris) aisément déchirables est préconisée car il a été pratiqué des tentatives suicidaires par enroulement autour du cou jusqu’à strangulation jusqu’à l’asphyxie jusqu’à recroquevillée blanche et bleue dans le tas pendu au pied du lit – le temps d’installation dans l’isolement se faisant selon les circonstances avec un respect relatif de l’intimité, car il est nécessaire de prévenir, le personnel présent à l’admission étant tenu pour responsable en cas d’incident et/ou accident immédiat ou ultérieur, l’incendie par briquet et la suffocation par fumées toxiques en étant un autre, la phlébotomie plus rare bien que, par conséquent se tenir nombreuses et nombreux à surveiller (si les conditions le permettent il est recommandé de limiter et genrer la présence soignante en fonction bien sûr…) en prenant soin si on peut d’éteindre au plus le regard pour faire des soi un mur uniforme de rien, que ça rebondisse sans défaut ni excès à l’envoyeur, se passe le plus vite possible, en tout cas se montrer unis et fermes, sans ouvrir la brèche à des discussions interminables, des invectives, pire du corps à corps ; si besoin est on aura pris soin de mettre en place les attaches ajustées aux endroits adéquats des montants du lit (lui-même vissé solidement au sol carrelé) : mains, chevilles, ventrale, deux écoles : les fixer en avance sur le lit, gain de temps évident – efficacité – indication reçue téléphoniquement :  … agitée, faudra prévoir les contentions  parfois on pose la question :  ya besoin des contentions ? ou ne les mettre en place qu’après évaluation,  ainsi amortir le choc d’entrer, voir ça, toutes ces algues blêmes accrochées, dégoulinant autour du radeau blanc, autour le brouillard de fantômes pâles et dire dans cette brume qui soudain éraille la gorge :  je suis où, c’est la morgue ici ?  – je crois que je ne vous fais pas confiance. 

La vieille à sa fille figée sur le seuil, depuis le fond de son trou de noir : tu la laisses dehors la gamine que tu t’es accrochée à ta main comme une tache de honte. Tu la fais pas rentrer elle reste derrière la porte. Le malheur on l’a déjà trop vu ici, tu aurais dû y penser quand tu as pris ton plaisir. « Si tu voyais l’ici… » En écrivant elle revoit le sourire tout mangé derrière le bouillon de larmes.

Elle se tourne vers le mur. Qu’on voit pas son visage sa fatigue son usure à elle appelée en renfort. Elle se retourne soudain pendant que toutes les mains tendent un filet de tentacules pour maintenir les poignets les chevilles plaquer les épaules enrouler les sangles autour des poignets des chevilles du ventre serrer enfiler les aimants de blocage calmez-vous tout va bien se passer et sa bouche détachée d’elle qui parle pour personne comme une vague et son ressac j’en peux plus des cris des insultes j’en peux plus j’en peux plus j’en peux plus

Elle écrit mordillant le bout du crayon : si tu voyais l’ici c’est une autre vie presque. J’aimerais que tu sois encore là pour marcher dedans avec moi, on ferait nos traces qui s’accompagnent disparaissent et recommencent ça serait comme le cligner les yeux de l’ombre qui s’évapore à la lumière.

11 commentaires à propos de “une vie. extraits.”

  1. ah ! merci des commentaires et surtout du je ne sais pas pourquoi… Peut-être que écrire ça sert aussi à ça, raconter des histoires plus ou moins vraies plus ou moins d’emprunt pour habiller des émotions/sensations qui sinon erreraient perdues sans lieux de mots… enfin parfois je crois.

    • oui, c’est exactement ça : retranscrire le sensible qui part de nous parfois, parfois ressenti et retraduit… et quand ça touche les autres, on perçoit mieux ce qui nous rassemble, cette humanité… cet universel…

  2. Tout à fait happée par le premier paragraphe, du coup, lu jusqu’au bout. Alors que ce n’est pas la forme, ai pensé à une pièce. Ou plutôt : tous les personnages sont là, la pièce peut se jouer.

  3. Oh ! Je n’avais pas pensé du tout à une pièce et voilà que cette réflexion vient fabriquer quelque chose de mystérieux et fascinant, que je laisse virevolter devant moi, un peu subjugué… Du travail m’attend. Merci !

  4. Le JE me gêne (Je deviens francois bonesque et puis on se connait). Et si tu reprenais avec le dispositif de WF dans les premières pages de lumière d août. Une fille qui a une histoire (recit) et des pensée (discours interieur) et des interactions (dialogue ou lettre) et qqn qui la voit venir et qui a lui aussi tous ces moyens d expression.
    Je balbutie dans cette idée de casser le récit linéaire…mais c est ce que je veux essayer cet été…et j en suis loin.
    Bonne route à toi, tu as une matière fabuleuse à exploiter.
    Bises

    • hello Danièle. Oui je connais et aime beaucoup lumière d’Aout. Je ne suis encore fixé sur rien du tout concernant la forme (ni le ou les thèmes principaux d’ailleurs) mais je m’accroche dans le temps et espaces entre les visiteurs de l’été – pour écrire et lire ! – le je ici ne concerne pas un personnage principal… Me dis qu’il doit être possible de basculer entre des formes narratives différentes … Mais tout ça est comme les chantiers … en cours ! je vais aller voir tes explorations ! J’ai vu que tu te lançais dans la litteratube aussi ! chapeau !

      • Merci Jacques de ta réponse. Je me sens complètement bloquée et pleine de doutes dans ce cycle que j’avais pourtant commencé sans trop d’interrogations.
        Justement, selon la forme on ne raconte pas la même chose et on ne produit pas le même effet et c’est cela qui me hante. Basculer entre les formes narratives, oui, tout un chantier ! Je prends peut-être tout ça un peu trop au sérieux cette année.
        Bel été à toi.

  5. Même dilemme ! où je prends trop au sérieux et blocage / frustration ou pas assez au sérieux et du coup n’aboutit pas à grand chose… Écrire et jouer auraient pas mal de points communs peut-être, dans le plaisir – l’investissement de soi et la découverte qui entraîne vers plus encore…