oreiller- été2019#03/ cinq fois sur le métier

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Moche, mou, informe pour accueillir la forme. Creux de l’oreille, nid de l’oreille, travailleur de l’oreille, comme l’horloger. Heures qui défilent sans qu’on y prête l’oreille. Pour pleurer, pour aimer, pour baiser et baisser les armes.

Nid de l’oreille, refuge ultime dans un passage inaudible. Bruits étouffés, tout sauf un coquillage de mer-plongée dans l’infini.

Ici, plongée dans le fini, le moche, le mou, l’informe. Odeur des sueurs et des peurs, terreurs nocturnes, indicibles désirs.

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Chercher le sens. Dictionnaire. Tomber sur orgasme avant de tomber sur oreiller. Hasard de la recherche, plaisant hasard. Reculer de trois pages. Pièce de literie, auriculare. Remplaçant d’alcôve. Peut être parce qu’on ne dort plus dans des alcôves, mais dans des lofts. Cloisons ouvertes : Où trouver son refuge ? Il ne reste plus que lui, ce confident peu contrariant, mou, prêt à tout entendre. Confidences sur l’oreiller. Marque de confiance, moment propice…et pourtant, chacun son oreiller. Pas de traversin. Le traversin, c’est un leurre, celui de penser que l’on dort à deux. On rêve toujours seul, avec lui, l’oreiller. Lui, il raccommode pourtant, pour un temps.  Ephémère désir, éphémère plaisir, il faudra recommencer, raccommoder, sans cesse. Mais il sera là. Il ne bouge pas quand tout s’agit autour de lui. Complice de la panne, le coup de la panne c’est classique. On  lui en veut pour son silence, il est responsable. Utilisation du génitif : panne d’oreiller.  C’est pas moi, c’est lui.

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Pour un meilleur sommeil, il faudrait le changer. Opter pour un neuf, un de ceux que l’on voit au supermarché : emballage avec dame parfaitement allongée, parfaitement peignée et maquillée. Pourtant, sur l’oreiller, les cheveux sont ébouriffés, le maquillage a coulé. Oreiller neuf, vos rêves garantis, promettent les slogans. Des rêves de marketing avec un oreiller neuf, cela ne fait pas rêver.

Oreiller neuf et ergonomique-Tentation du confort, illusion du bien être-Cela règlerait peut être tous les soucis. Un oreiller tabula rasa. Rasoir. Le passé aussi il se lit dans l’oreiller. Auréoles…Jaune…Le blanc immaculé ce n’est que sous le plastique, dans le supermarché. Moche, mou, informe, voilà son essence.

Voilà, c’était sûr. Facilement trouvés, des sites qui conseillent de dormir sans. Amélioration de la circulation du sang, ventilation du cerveau. Retrouver son corps ? Ne serait-il qu’un obstacle à la saisie de soi, une sorte d’étouffement de la réflexivité. Je déteste dormir sans. Je préfère les empiler. Etouffer le corps, le caler, empêcher cette ventilation promise par tous ces sites. Besoin d’un support. Confort anti-angoisse. L’angoisse, c’est le vide, refus de ce vide. Ventiler, mais avec lui. Compagnon moche, mou , informe, mais pupitre des mélodies qui se jouent , la nuit, dans la ventilation du cerveau.

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Si je pars, c’est avec lui. Besoin de rien envie de toi. L’oreiller sous le bras. Après tout, il se transporte. Nuit dans le bus, il était là-elle aussi, elle avait le sien, rien que cela d’ailleurs. Inconfort des sièges, cris des passagers. Heureusement, il était là. Odeur de lessive familière, car il part, mais sous enveloppe. L’enveloppe, c’est sa parure, elle dissimule les auréoles, les odeurs, masquées par la lessive. Un voyage, c’est une sortie publique, il doit être apprêté. L’intime est dévoilé : couleur, odeur, forme. On essaye de le normaliser, le rendre moins moche, moins mou, plus en forme. Dormir dessus, mais avec grâce, ne pas trop le salir, le ranger à chaque arrêt , le trimballer- c’est pratique, il se compresse, mais il reste volumineux, ce n’est pas un oreiller de campeur, un de ceux qui se gonflent. Non, il est en plume, parfois une d’elle en sort, cela fait mal. Cela rappelle qu’il existe, se gonfle et se dégonfle comme il le veut. Pas si passif le confident. 

A propos de Marie-Caroline Gallot

Navigue entre lettres et philosophie, lecture et écriture.

6 commentaires à propos de “oreiller- été2019#03/ cinq fois sur le métier”

  1. L’oreiller comme concentré d’intime, bien vu ! J’aime bien votre écriture qui enchevêtre réflexions, associations d’idées, affects et considérations pratiques …

    • Merci pour votre lecture…et l’accueil de ma première contribution ..à bientôt autour des textes

  2. Moche, mou, informe, mais pas si passif qu’il n’y paraît ! J’ai apprécié votre texte évocateur de l’oreiller, tiré vers l’intime, le pratique, le refuge ultime… Merci pour cette lecture !

    • Merci pour votre commentaire..oui, toujours se méfier des choses trop passives…en apparence..ou au contraire s’en emparer..à bientôt autour des textes.

    • Oui, parfois, elle fait mal, car elle traverse l’oreiller avec le côté le plus dur…Ecrire c’est un peu traverser les épaisseurs non?