#P10 – Costume ajusté

Clac. Vous comprenez maintenant mes intentions. Je ne sais pas si j’ai choisi la bonne intonation. Peut-être qu’on entend une question alors que c’est une affirmation, j’affirme, je suis certain je sais. Elle lève clac clac les yeux, le regarde. Ses yeux sont à l’affût je les vois. Il cherche quelque chose, une réponse. Son téléphone est posé devant lui, il y jette ses doutes. Il voudrait que je n’aie pas vu ce geste, son regard en biais. Clac. Clac. Elle voudrait s’approcher. Elle s’approche, répond d’un regard droit. Je la comprends, bien même, trop. Elle n’est qu’un nom dans une enveloppe. Mais tu ne réponds pas à la question. Le sait-il seulement, je ne sais pas. Concrètement, que vas-tu faire ? Elle s’approche encore. Ses pores, je les vois, sur ses joues sur son nez, les rides comme il ne les a jamais vues. Ils suintent tandis qu’elles, abymes de son je clac. Il fait jeune pourtant. Elle pourrait respirer son parfum, clac une semaine de courses le flacon au bas mot clac de la famille moyenne d’un monde moyen, semaine à anniversaire plutôt ou à bûche, toute la famille jusque tard, les chansons, le pétillant, le café, les vieilles histoires ressassées défraichies, le papier déchiré clac. Je veux tout simplement que tout cela n’arrive plus jamais, j’y mettrai les moyens car votre situation est intolérable, inqualifiable. Il se redresse ou son costume le redresse parce qu’il faut du sérieux pour prononcer ces mots-là. Je les connais par cœur tes in-mots. Ils sont dans ta bouche l’opposé clac du réel. C’est comme si cette scène clac je l’avais déjà vue. Intolérable, inqualifiable, impensé, impossible, invraisemblable, improbable. Clac. Ce regard, cette peau, ce visage, cette tenue et moi de même, la même que la fois passée, c’était quand déjà, quelques années, cinq peut-être. Intolérable dis-tu ? Et pourtant tu l’as toléré, toi et les tiens, 146 fois précisément, oui monsieur, clac l’an passé. Inqualifiable dis-tu ? Je te donne des noms si tu veux pour qualifier l’intolérable, y mettre de la chair et des os et du sang. Mon nom le mien celui de ma mère de mon père et les leurs avant eux, ma lignée, ma constellation tombée, ton trou noir. Arrête s’il te plaît. J’entends vos remarques, votre indignation mais il est de ma responsabilité. In-dignation. Tu recommences, arrête maintenant. Je suis digne, je suis fière, clac je me lève, je crie, clac je tombe. Elle recule, le vieux canapé l’enveloppe. Une feuille d’un vieux journal devant elle. Clac. Ces ongles rongés sont les siens qu’elle regarde, tente d’égaliser, arrondir clac les ongles et les angles pour paraître. Comme toi ton costume, ton parfum, je crois même avoir vu sur ta peau la poudre déposée pour faire bien, teint unifié sur sourire vérité. Tu devrais te taire. Tu devrais. Tu devrais ne pas revenir ici, cette terre en somme, là où tu laisses de la boue, pas de fard, là où tout est pour toi possible, le pire et le probable, main dans la main tu les tiens. Elle saisit à côté d’elle, l’objet, positionne son doigt, lève le bras, le pointe vers lui, se redresse, avance le regard et le dos droits. Elle avance près tout près pourrait lécher son visage s’ils ne la dégoûtaient pas autant, lui, sa bouche qu’elle a entendu pâteuse, sa veste ajustée sur ses mensonges à l’étroit, qu’il tousse et que tout craque. Elle vise, appuie. Il disparaît en silence, l’écran plat, dernier cri, s’éteint. Bientôt il rentrera. Trop vite, trop tôt, passera la porte enlèvera son habit de fiction, demandera on mange quoi j’ai faim j’suis épuisé cette journée je crois qu’j’ai bien parlé ça va marcher t’as vu de quoi tu as l’air de rien tu pourrais prendre soin de toi faire des efforts comme j’en fais tu me donnes envie de t’en coller une tu m’énerves ta présence réveille ça c’est ta faute tout ça laisse-moi j’vais me reposer devant la télé.

(et oui, cet objet existe!!)

A propos de Rebecca Armstrong

J'aime la voix alors j'ai fait de la radio (associative), je produis des podcasts et mon métier c'est de faire lien avec ma voix. J'ai écrit, vraiment pour la première fois, récemment. Un manuscrit instinctif est né: des flashs d'un temps passé disons. Il s'appelle "1.2.3". Je souhaite désormais explorer l'écrire avec la profondeur que je sens ici, avec tout l'enthousiasme de la novice. (Et au fait, j'aime les tatouages, les apéros, les lecture à voix haute, mon potager minuscule, courir le matin et lire)

12 commentaires à propos de “#P10 – Costume ajusté”

  1. Curieux texte. M’a surpis, l’ai relu, me suis laissé aller. La troisième fois, j’ai pioché. La quatrième fois, me reste un goût étrange et un bruit. Clac. Curieux texte.

    • Merci d’avoir pris le temps. 4 lectures! Merciii, vraiment. Mon idée ne doit être pas assez bien mise en mots pour que ça marche 😅.

  2. Texte hypnotique traversé de courants pleins de violence. Curieux, en effet. Ce qui fonctionne, pour moi, c’est l’agression sournoise. Tout le texte en paraît sous-tendu. J’entends des bribes de dialogues filés. Mais je suis pris par autre chose.
    L’écriture est vraiment très belle, autonome.

    • Oui, je voulais essayer de jouer avec un faux dialogue… 🙂 deux interlocuteurs qui semblent se répondre mais ne se parlent pas finalement

  3. J’ai lu et relu et je butte. Il y a il, elle et je. j’ai même essayé de surligner pour comprendre qui parle et je m’y perds un peu. je t’envoie mon bricolage par mail si tu veux, car il ne passe pas (le surlignage) sur le blog.
    En conclusion, Je crois que j’enlèverais les je pour en faire des elle, mais je n’ai peut-être rien compris du tout.

  4. Tu as raison Danielle. Si on ne comprends pas, c’est que je dois revoir ma copie (pas sûre de le faire dans l’immédiat, il faut que je prenne le temps de réfléchir à ma « mise en scène » en quelque sorte)