#P3 La sauce à rien

Un vrai best-seller le Ginette ! On le trouve (presque) dans toutes les maisons, avec des variantes de couvertures ! Transmission de la cuisine française, il y a l’exemplaire familial jaune et noire, on dirait une abeille, aux feuilles ambrés qui se détachent. Celui trouvé dans la bibliothèque de la belle famille. Le mien acheté dès les premières années estudiantines, symbole d’émancipation mais aussi de transmission.

Titré « je sais cuisiner en 1935 », il est devenu « La Cuisine pour tous » dans les années quatre-vingts. Avec plus de deux millions d’exemplaire vendus, il fait pâlir les vendeurs de daube française, je ne citerai pas de nom, au risque de froisser mes futurs éditeurs. Mais Ginette Mathiot, Geneviève de son nom de naissance, n’y pas gagné grand-chose, financièrement s’entend. Son père ayant estimé qu’un forfait de 8 000 francs serait déjà une manne pour un livre qu’il pensait faire faire un bide tandis que les éditeurs en ont fait leurs choux gras. Pourquoi fait-il encore recette aujourd’hui ? Peut-être parce que les 2500 plats, 1243 dans l’édition récente, ont tous été testé ?! Le fouillis du livre nécessite de se reporter à la table des matières. A force de l’utiliser, on finit par mémoriser les numéros des recettes et s’y rendre directement :

– 422 Bœuf bourguignon

– 484 Blanquette de veau

– 670 Lapin en gibelotte

– 778 Chou rouge au lard

– 1052 Crème anglaise

L’art culinaire français se concentre-t-il dans les sauces ? Ginette Mathiot doit le penser puisque son livre de cuisine commence par ces accompagnements servis « soit en nappe sur la préparation, soit en saucière ». Ou parfois « elles sont intimement mélangées à la préparation ». On sent aussitôt en bouche ce mélange intime entre le mets et son compagnon liquide ou légèrement solide, qui enrobe, révèle ou excite les papilles. La famille des sauces, numérotée de 1 à 62 se décline en jus, gelée, coulis, purées, roux et sauces émulsionnées.

Le territoire des sauces est ambigu – roux blanc, roux blond ou roux brun –, équivoque – sauce financière, ravigote, bâtarde, poulette, maître queux – ou invite au voyage – Béchamel, Mornay, Mirepoix, Soubise, Nantua, Bonnefoy, Madère, Robert ou Choron.

– Sauce bâtarde (13) : sauce blanche (autre nom du roux blanc) avec des œufs et un jus de citron

– Sauce Nantua (22) : une béchamel aux écrevisses en apnée dans la crème fraîche ;

– Sauce cardinal (25) : une béchamel à l’essence d’anchois et de purée de corail de homard pilé. A service avec des filets de sole 

Mais, arrivée au terme de ces 62 recettes de sauces, jus, émulsions et autres crèmes, Ginette Mathiot en a omise une. Une secrète, dont la recette se perd dans les limbes d’une campagne un peu miséreuse. Celle de ma grand-mère, celle des années de disette de l’après-guerre, celle qui fait saliver sa fille quand elle en parlait, celle que sa petite-fille n’a jamais goûtée et celle qu’elle ne goûtera jamais : la sauce à rien.

A propos de Laurence Fritsch

Poète, Laurence Fritsch publie ses poèmes sur son blog : https://laurencefritsch.wordpress.com/ Depuis plusieurs mois, elle écrit un poème par jour posté sur Facebook (https://www.facebook.com/laurence.fritsch1) et Instagram (@lau_fritsch), illustré par une photo, le plus souvent prise par l’autrice. Texte et image se répondent, se complètent pour constituer un tableau, un polaroïd traduisant un état d’âme, la fulgurance de la pensée, la beauté de la nature.

3 commentaires à propos de “#P3 La sauce à rien”

  1. la sauce à rien, me fait penser au livre pour enfants :  » la soupe au caillou » ; Merci pour le « intimement mélangées à la préparation » !

  2. La sauce à rien me rappelle les clopinettes de mon papa… Merci pour cette résurgence !