#P5 Chute libre

Le nœud ne se desserre pas, trop serré le nœud, ici, dans la gorge, au carrefour des respirations, affole les sens, excite les fêlures.

Pas de main à saisir, pas de rampe, pas de filet, aucun accessoire estampillé sécurité, aucune issue de secours, parcours obligé, piste noire savonnée, savonnée en noir, je prends de la vitesse, l’ivresse me cajole, pas de main, de parachute, de protection, rien d’autre que ce vide à mains nues, qui happe, qui me happe, qui me prend, me vole, me dérobe, je me dérobe, les parois sont lisses, pas de paroi, descente verticale, un puits, à pic, oiseau sans aile, carlingue explosée avant même de toucher le sol, le vertige arrive avant la nausée, pas de pilote, lâché les manettes le pilote, moi, menottée par quelle emprise, menottée, impossible de redresser, je glisse, ma raison s’est détachée de l’appareil, mon cerveau l’a crachée dans ce nulle-part colossal, elle flotte dans ce grand rien, ce mât de cocagne qui valdingue, pas de main pour la saisir et la remettre dans son logement, ma boîte crânienne largement percée par des mirages, des illusions indénombrables, des trompe-l’œil qui me fracassent, personne, solitude choisie, pas de témoin, la conscience s’effiloche, se rétrécit, se limite à multiplier les feux verts et à ouvrir les trappes pour dévaler encore, le temps s’étire, la dégringolade n’en finit pas. Un frein est là, impossible à atteindre, il suffirait pourtant de. Pour stopper net. Pour que tout s’arrête. Pas de rampe, glisser encore, voir défiler devant soi les illusions qui s’échouent, les espoirs qui se tordent, difformes, perdre, se perdre jusqu’à l’épuisement, jusqu’à l’abandon de soi jusqu’à rendre les armes, me rendre, vaincue, insecte aux élytres troués, aux pattes éparpillées, sonnée, cernée, le diable aux trousses, et ce nœud, qui tient le ventre maintenant. La nausée est là.

A propos de Elisabeth Saint-Michel

C'est ma quatrième ( cinquième?) participation aux ateliers proposés par François Bon. Je trouve cela particulièrement énergisant. J'anime moi-même des ateliers d'écriture à Villeneuve d'Ascq (Hauts de France) au sein de l'association Filigrane. Je suis aussi enseignante auprès de jeunes enfants porteurs de handicap. Côté écriture personnelle, j'ai publié deux romans et deux recueils de nouvelles dont le dernier, "disparaître ici" est sorti en mars 2021.

6 commentaires à propos de “#P5 Chute libre”

  1. D’accord avec Béatrice. Je connais ce cauchemar, rare, mais qui se termine par un brusque réveil … ouf ! Merci pour la précision de ton écriture.