#P6 | 7 jours d’été

© Lisa Diez, Marseille, 2021

Mardi — A Dieppe, les mouettes sont plus petites qu’à Marseille. J’essaye de percevoir les différences sonores, me convainc que les cris des marseillaises sont plus rauques, plus sanglants, je n’y crois pas. D’ailleurs à Marseille on les appelle gabians, ils me semblent plus gros mais vraiment je ne suis sûre de rien. Chercher sur google. Me revient l’image de ce gabian entrain de grignoter un rat mort à même le trottoir, le bec trempé de rouge et de viscères il a levé les yeux vers moi, tu veux ma photo? Et au milieu de la plage, comme tombé du ciel, un bunker. Qu’est-ce qu’ils stockaient comme nourriture là-dedans? Quelqu’un y est déjà mort enfermé? Chercher sur Google. 

Mercredi — Le rose va bien à mon père.

Jeudi — Réponse à la consigne Artaud dans le quatrième train de la semaine; première fois que j’arrive à écrire dans un train. Tremblement concentrique devant l’ordinateur, changement de siège dès que quelqu’un se colle, spectacle anxieux sans doute. Je repère un type seul, cerné, lourd, quelque chose de familier, mais quoi? Il corrige un scénario. Il a compris qu’on est du même bord, ne me sourit pas. Qu’est-ce qui est commun aux gens qui écrivent? Des gestes? Un regard dedans et dehors à la fois? Comment décrire ça?

Vendredi — Je pressens que faire la queue ne sert à rien et qu’ils vont m’inviter à téléphoner au 3244, 34 centimes la minute. L’électricité est palpable. Une dame aux larges mollets charge l’homme derrière moi de lui garder sa place, s’assoit sur le banc en face, ses yeux roulent comme dans la chanson de Gainsbourg. Une autre femme arrive, saccadée, pas commode, derrière l’homme qui exécute timidement sa mission, « la dame, là, est après moi… — Et alors? C’est quoi le problème? » Le pauvre bredouille. Ils embauchent des molosses très sympas pour nous détendre pendant qu’on s’énerve dans la file. Celui-là parle arabe. La chanson de Gainsbourg s’est collée, elle m’enveloppe encore quand j’arrive au bout. Un type souple, presque sautillant surgit de l’espace abonné refait à neuf, me fait face avec une amabilité déconcertante, cliquez ici, signez là. Ne pas se faire avoir. Je veille à ne pas paraitre hystérique comme toute femme qui réclame. Je me sens impeccable. Est-ce qu’il m’écoute au moins? Discours bordé, calme, doux, ici on ne pourra rien faire pour vous il faut téléphoner au 3244, 34 centimes la minute. Rien ne l’ébranle. Tout ce qu’il dit me semble évident et plat. Il incarne parfaitement l’autre espace abonné, celui du site internet. Il est tout entier l’espace abonné. Je cherche la chair, la faille, le contact. Son sourire est si lisse. Je repars en sautillant, il m’a eue. Bonne journée à vous. (Et bien plus tard l’oreille collée au téléphone brûlant) Connard. 

Samedi — Ce cimetière a l’air très vert, quelques anges me regardent depuis le dessus du mur. Jamais été aussi seule ici dans un espace si large. La chaleur retombe, odeurs de plastique et de bitume tiède. Enormes hangars de bus alignés, zones industrielles désolées, tout est si ordonné, ce funérarium m’évoque instantanément l’espace abonné d’hier. Personne. A gauche par la voie rapide, « saint-jean du désert ». Photo.

Dimanche — Je lui demande comment elle fait pour dormir entourée de tant de beauté. Elle me répond qu’elle ne dort pas. Jeté sur les draps blancs et froissés, un livre de Kafka. Pas le temps de m’attarder sur le titre, ça ne se fait pas. J’ai dit beauté, et ce n’est pas le bon mot. Etrange chambre mangée par le lierre, peuplée de moustiques, où s’exposent, à même les tomettes, une galerie de figures tournées vers le lit — bustes de la taille d’un pouce, nus d’argile, peluches crasseuses, marcheurs en fil de fer.

Lundi — Une chose gronde. Quand une annonce va tout chahuter, le fond des intestins s’y prépare. Ce n’est pas de la douleur, plutôt un poids qui s’enracine doucement, l’image de la boule est juste mais elle n’est pas dans l’estomac, plus bas, elle vibre, bavarde, brille, se soulève à intervalles réguliers, fait « la ola » à chaque sonnerie de téléphone, projette une faiblesse dans les cuisses. 

A propos de Lisa DIEZ

Chercheuse polyvalente, sorte d'artiste tout-terrain. Valises posées depuis 5 ans dans les arts de la scène. Passages par la peinture, la réalisation documentaire, la photo, la médiation artistique… et l’écriture, soutien fidèle de ces nombreuses traversées. Deux sites : www.soinartistique.fr (Collectif ALS) et www.atelierdiez.com (vrac et chantiers).

5 commentaires à propos de “#P6 | 7 jours d’été”

  1. (Il paraît que le gabian n’est pas une mouette. Il paraît que le gabian est un goéland. Il est vorace et voleur. A la Grande-Motte, il attrape toute nourriture que l’on a en main. Il est impoli. Pas du tout sympa avec les chats qu’il pourchasse, je ne l’aime pas). Bonne semaine à vous Lisa

  2. Beaucoup aimé le jeudi (deux inconnus séparés par la même activité) et le samedi –  » quelques anges me regardent depuis le dessus du mur » – Très beau !

  3. Images fortes. Ton lundi part de l’intérieur. Encore. Excepté ce dernier jour, j’ai l’impression que tu as fait un pas de côté, que tu as adopté un autre angle. Et moi, je suis sorti de la piscine.