#P8 N’est pas Italo qui veut…

Toi lecteur (de passage ou plus assidu), sais-tu seulement ce qui m’arrive en cet instant ? Je pense à toi et t’imagine plus ou moins concentré, plus ou moins intéressé. Je me demande comment te garder auprès de moi, accroché à mes lignes. En ces temps de zapping, il est difficile de faire le poids face aux mouvements perpétuels des écrans animés… mes lignes ne bougent pas, enfin ne bougent plus maintenant qu’elles sont tapées et éditées. Le seul mouvement possible est celui de ton imagination. Je compte sur toi pour comprendre mes mots et les améliorer. Je ne te connais pas encore, mais j’ai confiance en toi. Si tu es arrivé.e jusque-là, c’est que tu es intrigué.e et assez malin.e pour rester quelque part où la seule action réelle est juste potentielle. C’est pour cela que je crois en toi, comme on croit zux hasards invisbles dont on ressent les effets. D’autres ont quitté ces lignes bien avant toi, peu sensibles à nos valeurs communes. Ce que j’écris chaque jour me traverse et attise un feu de braises. Serais-tu prêt à souffler avec moi pour me donner le courage de continuer ? Je l’espère alors je persiste…
Je pense tout à coup au fait que si j’écris, c’est parce que je te crée. Je ne te verrais peut-être jamais, tu n’en auras pas besoin pour me connaître… voire même tu serais déçu.e… car les personnages ne correspondent jamais à ce qu’on s’en était imaginé. Un peu comme on n’aime pas sa voix enregistrée car on ne s’y reconnaît pzs. Et pourtant c’est moi, et pourtant c’est toi.
Il en est pareil de l’écrivain que tu inventes en me lisant. Suis-je sur une machine à bandeaux, derrière un écran ou encore à gratter du papier ou dicter ces mots à mon assistant virtuel ? Et où veux-tu que je sois ? Dans un café chic, au fond de la cave ou dans mon manoir isolé ? Autre possibilité : une île paradisiaque (cela me plaît), un jardin arboré ou une bibliothèque personnelle ou municipale… je ne donne là que ce que mon petit imaginaire produit, mais je voudrais tellement savoir où tu m’installes… car cela sera plus original et imprévu. Tu es mon lecteur, mais aussi mon personnage en cet instant présent. Et les personnages sont toujours surprenant à un instant où un autre. Non pas que tu deviendras héros ou ennemi, mais la vie est ainsi faite, elle a besoin d’indépendance.
D’ailleurs depuis le début de ces mots, tu as déjà sûrement pensé à autre chose (la liste des courses, sortir le chien… et les enfants ?), bougé pour attraper une tasse de café ou de thé ou encore une clope (sale vice, tu devrais arrêter…), allumé la lumière ou bouger le store pour te protéger du soleil. Mais je te l’ai déjà dit, tu as toute ma confiance et tu vas me suivre dans ce que j’essaie de mettre en forme. Tu dois en avoir marre de toutes mes interrogations, alors d’accord, commençons cette histoire ensemble. Elle va te plaire, je le souhaite, je l’ai écrite pour cela. Si tel n’était pas le cas, merci de ne pas me le dire mais de la modifier pour qu’elle te convienne… d’ailleurs, tu verras, je n’ai pas tout détaillé tout le temps, pour te laisser te faire tes propres images et sensations. Tu peux maintenant être tous mes personnages, à ta façon, ne t’en fais pas, je te les prête.

Codicille : Le tu, le je… je ne sais pas ce qu’il en est. A l’écriture cela m’a fait l’effet d’un dédoublement : le je qui s’amuse à écrire au tu qu’il voudrait sien. Mais le moi qui se relit trouve tout ceci non seulement extravagant mais aussi très présomptueux puisque rien n’est totalement écrit et encore moins « édité » au sens officiel du terme. Je ne suis même pas sûre qu’en tant que lectrice je continuerai à lire un auteur aussi directement à l’aise pour s’adresser à moi. Est-ce un personnage d’écrivain qui se créer, je ne sais… Je repense à Italo Calvino qui si bien le lien entre l’auteur et le lecteur dans Si une nuit d’hiver un voyageur en indiquant au lecteur comment s’installer confortablement pour commencer son nouveau roman… mais je ne suis pas Calvino !

A propos de Geraldine B.

Vocation : écouter les maux pour les recoudre en mots doux. Loisir : lire les mots tissés en pages. Espoir : dépasser les ellipses pour laisser s’étendre ma toile imaginaire.

6 commentaires à propos de “#P8 N’est pas Italo qui veut…”

  1. Intéressante relation à questionner.
    Curieux comme je ne t’imagine pas écrivant. Un texte a toujours un air fini pour moi. Du coup ça m’a fait réfléchir un peu à ça.
    Merci pour ce texte.

    • Merci à toi et surtout quelle rapidité! 😉
      C’est drôle, moi non plus je n’imagine pas l’écrivain derrière son texte et pourtant il en passe forcément quelque chose…

  2. J’ai été captive.
    Très intéressée par cette lecture qui semblait détecter une seconde avant moi, ce qui pouvait, ce qui allait, ce qui m’arrivait.
    A la fin je suis restée interrogative, ne comprenant pas le titre puis j’ai lu le codicille…
    Au fait, n’ayant pas vu votre prénom, j’ai imaginé que c’était un homme qui écrivait, en revanche je n’ai pas imaginé comment vous écriviez : étrange!)
    Merci pour ce texte et cette expérience.

    • Peut-être que le temps du lecteur et le temps de l’écrivain sont tellement dissociés qu’on a du mal à s’imaginer que les deux puissent se faire simultanément? Alors que j’ai l’impression, en écrivant, de parfois chercher à savoir ce que le lecteur va pouvoir ressentir. En tout cas, je suis heureuse d’avoir « détecté » un peu de votre vécu… 😉

  3. Si par une nuit d’été mes yeux de lectrice n’avaient voyagé sur tes lignes d’autrice j’aurais raté un beau moment de lecture. Je retiens ce passage : « c’est que tu es assez malin.e pour rester quelque part où la seule action réelle est juste potentielle. »