#photofictions #04 | qui se dérobe

Le téléphone stationne aux pieds du miroir en mode caméra inversée. Le téléphone et le miroir renvoient l’image de l’homme nu qui se regarde dans le téléphone qui a été réglé par l’homme, qui le mitraille alors qu’il contracte ses biceps, caresse ses bras, leurs tatouages symétriques à droite, à gauche. L’homme aime le bruit de la promenade de ses mains sur sa peau.

j’aime le bruit des mains qui se promènent sur ma peau si je pouvais me caresser sans savoir que c’est moi qui caresse si je pouvais me regarder de loin j’aurais une envie terrible de m’approcher de ma peau je m’y promènerais sans y être j’éprouverais du plaisir à ne pas y être ce serait presque comme mourir se réincarner et le savoir

L’homme regarde son visage dans le miroir, regarde son visage dans le téléphone. S’il regarde l’objectif du téléphone, il ne voit plus ses yeux dans le miroir. La lumière du téléphone est différente, le temps passe différemment, quelqu’un a programmé les réglages, sans doute l’homme lui-même. Sa barbe drue reste partout sombre dans l’ombre qui enveloppe son visage.

je vais laisser mes lunettes faire le point

Ses lunettes donnent à l’homme nu un air savant. Dessous cet air, l’homme semble doux, tranquille ou fatigué. Ses yeux tombent sur les côtés, on pourrait aussi croire qu’il est triste.

plus je vieillis plus j’ai l’air triste est-ce que je suis triste et si je suis triste est-ce que je dois le montrer putain si j’étais ce miroir je me verrais tout entier si j’étais ce miroir j’aurais une main qui me photographie alors non je ne vais pas sourire

L’homme hésite à sourire, il tente et se ravise. Il a peut-être pensé que ce n’est pas parce qu’on ne sourit pas qu’on est triste, il s’est peut-être senti fier de l’affirmer. Le téléphone mitraille toujours, adossé au miroir. Le miroir regarde les gouttes de sueur atteindre la cicatrice en forme de cercle parfait à la lisière du pubis. Le miroir regarde l’homme nu pivoter le bassin dévoiler le bas de son dos que son visage ne lâche pas des yeux.

quelqu’un va me voir comme je me vois l’oeil va se poser là et là et là je me vois comme elle me verra

A propos de Lisa DIEZ

Chercheuse polyvalente, sorte d'artiste tout-terrain. Valises posées depuis 5 ans dans les arts de la scène. Passages par la peinture, la réalisation documentaire, la photo, la médiation artistique… et l’écriture, soutien fidèle de ces nombreuses traversées. Deux sites : www.soinartistique.fr (Collectif ALS) et www.atelierdiez.com (vrac et chantiers).