#photofictions #09 | kodak

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C’est là qu’elle vivait, lui avait-on dit. Du moins c’est le bruit qui avait couru, que le sourd-muet lui avait offert un temps d’occuper sa vieille caravane, celle qui était placée à côté de sa maison à lui, une espèce de hangar préfabriqué dont il avait hérité à la mort de sa mère. Il aurait voulu savoir d’où lui venait le nom : L’abri côtier. Avec la majuscule au L. Il figurait sur une des photos. L’inscription en fer forgé peut-être un peu moins rouillé sur le cliché. Il y avait de l’amiante dans le toit, on lui avait dit, c’est sûr. Le maire aurait voulu faire démolir tout ce qui en contenait comme les cabines de plage, mais cela avait provoqué un tollé et il avait dû renoncer. , il ne pouvait rien contre l’Abri côtier, parce qu’on était sur un terrain privé. Juste à côté d’une belle résidence d’été. Le nom étonnait. Certes on a l’abri qu’on peut, mais posé sur le sable de ce qui reste de dune et face à la mer, l’arbre fruitier associé à ce nom n’a aucune chance de survivre et de s’y sentir à l’abri. Peut-être était-ce le nom qui l’avait attirée, elle aussi, à photographier les noms des résidences secondaires du coin mais surtout laisser hors champ l’autour des lettres avec un simple appareil photo jetable. Jaune, lui avait-on dit. Ainsi ce devait être Kodak et pas Fuji. Et pourquoi lui sur ses traces, on se le demandait. Depuis les photos qu’il avait retrouvées ? Et comment lui étaient-elles parvenues ? Mais depuis il arpentait le coin en interrogeant dès qu’il croisait quelqu’un. On avait fini par le connaître et on modifiait sa route dès qu’on apercevait sa silhouette. Le sourd-muet aussi, il avait bien tenté de le faire parler, un mélange de sons et de gesticulations, c’est tout ce qu’il avait pu en tirer jusque-là, un atlas impossible à déchiffrer encore. Il n’abandonnait pas.

A propos de Anne Dejardin

Projet en cours "Le nom qu'on leur a donné..." Résidences secondaires d'une station balnéaire de la Manche. Sur le blog L'impermanence des traces. https://annedejardin.com. Né ici à partir de l'atelier de François, Photographies. Et les prolongations avec un texte pour chaque nom qui dévoile un bout de leur histoire. Avec audios et vidéos, parce que des auteurs ou comédiens ont accepté de lire ces textes, l'énergie que donnent leurs voix. Merci. Sur Youtube : https://www.youtube.com/channel/UC71EVLVR9RIVzTojzdI8yfg

17 commentaires à propos de “#photofictions #09 | kodak”

    • J’adore votre commentaire, il fait partie de ceux qui élargissent le texte qui a été écrit, lui donne un nouvel éclairage, bref, il est précieux. Merci, Michèle.

  1. Une caravane énigmatique, un clin d’œil sur le nom L’abri côtier, une femme, un sourd muet , une photographe, un pousuivant, on commence à être pris dans le filet du récit, suspense

    • Merci, Huguette, de ce gentil commentaire, heureusement que ce devait être sans début et sans fin, car j’ignore bien comment compléter. 😊
      Mais ton commentaire clarifie les choses et me donne un état des lieux précis de ce j’ai si je veux continuer. Très précieux en fait. Top, merci.

  2. ah pour moi c’était la femme abritée dans la caravane qui prenait les photos des noms des maisons (trop bien!) et un type la poursuit je ne sais pas pourquoi. Mais c’est incroyable tout ce que tu as mis en place en si peu de mots ! encore une histoire à poursuivre 😉

    • Oui, Catherine, c’est bien ce que tu as compris. Je n’avais pas pensé avant toi que le sourd-muet qui habite L’abri côtier l’abritait, elle qui photographie avec un kodak. Merci de ta lecture qui dévoile davantage.

  3. L’abri côtier qui ne survivra pas et ni d’autres choses encore. La caravane pourrait disparaitre comme les noms photographiés. Il y a plein de pistes sur le sable de cette image où tu marches ou bien lui ? il y a du mystère dans tes mots et du jaune…

  4. tiens, me vient un souvenir, un petit terrain derrière la dune à Carolles, avec barrière rouilléé, et la typo au dessus, « ça m’ suffit », la caravane est là seulement aux beaux jours, je t’envoie la photo

  5. Sacrée ambiance de bord de mer ! (est-ce parce que tout y est mouvant que les noms résonnent plus encore ?)

    • J’aime bien que tu relèves cet élément de mouvance, oui, impression de mouvance dans ce que je tente d’écrire, textes comme petites constructions sur du sable et ignorer comment faire tenir ensemble. Une obsession chez moi. Ici plus encore, avec cette enquête où le vide l’emporte. Merci beaucoup; Muriel.

  6. chouette comment ça rejoint ton travail récent sur les photos de façade de maison, sur les noms de maison… (et donc ce ELLE si proche de toi…)
    et cet abri bancal en voie de disparaître
    superbe cette figure du sourd-muet qui se dessine en quelques traits et dont on s’écarte nous aussi à le croiser

  7. Le décor donne une ambiance énigmatique, où les pistes à suivre sont nombreuses pour trouver des personnages qui sont déjà très incarnés, bien qu’évanescents.

  8. D’où vient le nom ? Du sourd-muet qui joue avec les mots ? De sa mère morte, morte d’amiante ? Comme si les éléments soumis au vent marin, au sable, dégradaient tout ce qu’ils enveloppent… Quel abri trouver alors pour elle ? Et de quoi s’abriter ?
    Toute matière, du plastique kodak jauni, de la rouille, du hangar condamné, toutes les matières du texte semblent être en désintégration, lente à venir.
    Texte érodé, érodant toute chose, sauf l’attraction du vide autour, de l’appel à remplir ces vides intérieurs qui affleurent.
    Trouble puissant.
    Merci.