Quelque part

Quitter le port au creux de l’eau bleue, longer les barques colorées, alignées comme sardines, avancer vers la navette au coin du café où boire un café, un café au lait, et maintenant rouler, monter dans les collines entre les arbres, les rosiers, grimper jusqu’à l’arrêt devant la grille dans les glycines. Derrière la grille, de larges dalles dessinent le chemin entre les boîtes aux lettres, dont une comme urne où ne plus écrire – n’habite plus à l’adresse indiquée. À gauche, le hall d’entrée, rose saumon, quelle idée, avec un miroir vert pour s’ajuster, se rassurer. Au fond à droite, la porte de l’appartement. Ce qui frappe, quand on entre, c’est la blancheur : murs, carrelage, bibliothèque, draps et couettes, couvertures, et la clarté par la grande baie vitrée – immense soleil, irradiation au milieu du salon. Par la fenêtre ouverte, les collines encore et les fils qui traversent et les oiseaux sur les fils, et le chant et les cris des oiseaux sur les fils qui traversent. En contrebas, la piscine, et les enfants dans la piscine, éclaboussures de joie, et l’on voudrait plonger depuis là, le balcon : mais on ne plonge pas, on retourne au salon. Table ronde en verre fumée, chaises dorées, un musée : des tableaux, des paysages de neige, des visages, des vierges et des visages, icônes, madones, paysages de froid dans l’hiver des pays froids – une commode en marbre et des tiroirs et des secrets, on ne sait jamais. Arriver quelque part sans personne, arriver pour la première fois là où il n’y a plus personne, où le vide désormais.

A propos de Claire Le Goff

Pratique théâtrale, mise en scène et écriture à Bastia, Compagnie Ghjuvanetta. Enseignement du français langue étrangère. Quelques publications : Mademoiselle Grelon (La Scène aux ados, Promotion théâtre, éditions Lansman, 2015), Des Miettes (recueil de nouvelles La Peau des autres, éditions La Passe du vent, 2015), Café de la Porte Dorée (recueil de nouvelles, concours Musanostra 2018), Contre le mur de pierre, Et sa désolation (recueil à venir, Musanostra 2020). Blog d'écriture en cours, Confiture d'épinards. Heureuse d'être parmi vous !

15 commentaires à propos de “Quelque part”

  1. Contraste saisissant entre toutes les couleurs, la joie du dehors et la blancheur, glaçante du dedans. Un monde s’est figé. Et si ce blanc, ce vide, pouvait à nouveau prendre des couleurs sous la plume de quelqu’un… Une nouvelle page blanche pour un livre en devenir ?

  2. Bonjour Claire,
    Beaucoup de contrastes entre l’humeur du personnage, ce qui l’entoure, le dehors et dedans, dans un temps contracté et des sauts de l’un à l’autre, la tension est bien là,
    bonne suite,
    Catherine

  3. J’aime suivre le cheminement du début, la montée et après la description de l’espace. J’y suis, c’est moi dans ce café, dans cet appartement musée. Merci.

  4. C’est très cinématographique : la montée, la grille, la traversée de la maison… et en filigrane la disparition (la boîte aux lettres/urne), et le froid, le marbre qui font chute ; c’est beau et triste.