recommandations pour lire à haute voix
Ça fait toujours plaisir quand on voit rebondir la trace d’un article, aujourd’hui chez Anne Savelli à propos de sa loge à la Bellevilloise, alors petit salut et je repasse en Une. Ici seules invitations auteurs c’est tables rondes, dommage pour les auteurs québécois. Me rattrape via home studio improvisé – et on prend déjà les dates avec Pifarély pour l’automne, merci !... Ai apporté un MD-441 ici au Québec, et changé ma vieille Tascam (géniale pour le live, mais sommaire en enregistrement) pour une carte-son M-Audio Fast Track Pro, aucun regret côté fonctions et qualité. Toujours via Ableton Live 7, mais me suis remis un peu à Max/MSP dont j’ai téléchargé version d’essai pour 1 mois : c’est vraiment pour collaboration avec des pros – mais quelle fascination pour ce logiciel, qui change toute l’approche son/informatique (sans parler de la synthèse granulaire).
note du 1er novembre 2009
Raisons de reprendre cet article, avec quelques révisions et ajouts : ici, à Québec, je dispose pour un mois encore d’un fabuleux studio en sous-sol, sous une église vide, dont les qualités acoustiques sont celles d’un studio d’enregistrement – d’ailleurs, ils devraient bien loger les auteurs en résidence près de la rue Saint-Joseph et en faire vraiment un studio.
Insister sur l’étonnement quant au fait – pour moi incompréhensible – que si peu d’écrivains considèrent qu’un micro personnel c’est aussi important qu’un ordi personnel.
Enfin parce que, à Québec comme à Montréal, ces questions de la lecture à haute voix, vous le constatez hebdomadairement, étudiants qui passez là, c’est vital non pas en tant que profération ou partage du texte, mais pour construire nos paramètres internes de rythme, élan, conception, dès l’amont de l’écriture silencieuse...
note de juin 2008
Merci à tous ceux qui continuent de me dire que cet article leur a été utile... Comme d’habitude, c’est plutôt des choses qu’on essaye de mettre au clair pour soi. Mais je persiste et signe : on a énormément de chemin à faire encore pour donner vie à cet art de la lecture, en faire vraiment une tradition collective, et savoir en transmettre les apprentissages. Et je remets en Une pour salut et remerciement aux amis des Mercurielles de Cherbourg : la salle étant équipée multidiff et ayant installé mon micro pour la lecture Dylan, il est resté naturellement ouvert pour la totalité de l’atelier : ça changeait vraiment le confort d’écoute.
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Le parlé de la lecture à haute voix n’emprunte rien au théâtre mais plutôt au chant. Ceux qui feraient croire à une technique ou un métier de la lecture à haute voix vendraient du vent. Mais il serait temps de prendre confiance : ce qui tient de la lecture à haute voix tient, simplement, de la littérature.
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On lit amplifié : et alors ? Du mal à comprendre comment on est si peu d’auteurs à promener notre propre micro. J’en ai plusieurs. En public, toujours le même, et réservé à cet usage. C’est comme la position des doigts sur un instrument : l’exacte disposition spatiale pour la voix qui s’adresse au public en gardant la dominante acoustique, la voix forte, ou ce qu’on chuchote au contact du micro dépend non seulement de la marque et du type, mais d’une habitude apprise d’un micro précis, parfois au centimètre près. Quelle pitié ceux qui ploppent, ceux qui grognent « ça marche ? » avant de commencer à lire, ou qui commencent par taper dessus pour vérifier, et tant pis pour les gens qui écoutent. Une balance se prépare avant : mais en littérature ils ne le savent pas toujours.
2 bis
Un technicien m’avait installé, lors d’une lecture à Besançon, ce vieux micro historique de la télévision, le gros parallélipède rectangle à gaine cuir et inox du Sennheiser MD-441. Le soir même, m’en achetai un d’occasion (j’en ai même plusieurs, dont un de 1971, le même qu’utilisaient Zappa, ou Dylan dans Blood on the tracks), et depuis j’en ai usage exclusif.
Le choix d’un micro, c’est subjectif et personnel. Mais si vous avez le vôtre en propre, vous saurez comment l’utiliser, en jouer, et ça ce n’est pas transposable d’un micro à un autre.
Considérations et suggestions : moderne, tout terrain, précis, faire confiance à un Shure 87, c’est celui qu’utilise par exemple en performance mon collègue Fred Griot. D’occasion, vous pourrez aussi trouver un Shure 565.
Mais laisser tomber le Shure 58, à moins qu’il soit neuf et personnel (suffisamment pas cher et solide, tout terrain, si c’est le vôtre vous le connaîtrez). D’accord, c’est le micro qu’on trouve partout. Mais pour une seule raison : fait pour la voix chantée forte en contexte très sonore, il élimine le contexte et les nuances. Très bien pour les foire-expositions ou le discours de l’adjoint au maire, rien à voir avec un micro voix seule. Souvenir quelque part d’un Shure 58 qui puait comme pas possible, alors que la grille se démonte et se nettoie : « celui-là on n’y touche plus, Björk a chanté dedans ».
A la Maison de la radio, pour un feuilleton, on en essaye pas loin d’une dizaine, on hésite entre 2 ou 3 : la dernière fois, fixé sur un ancien Violet qui me serait bien inaccessible. Avoir son propre micro permet de le choisir, essayez ceux des copains. Les Sennheiser MD-441, on les trouve sur eBay (compter 220/260 euros + frais de port Allemagne, où ils étaient si répandus – mais le Shure 58 neuf est déjà à 100, et le MD-441 neuf à 900...). On est très proche avec lui des caractéristiques des micros statiques, en gardant la rusticité des dynamiques : pour nous, avec le parlé, aucun obstacle à utiliser un statique en public, mais pas toujours d’alimentation « fantôme » à 48 volts, et d’enceintes qui n’accrochent pas. Toujours plus risqué avec un statique, mais je ferais une exception pour le Rode NT3 (costaud, pile pour l’alim fantôme, bien directionnel pour la scène, capacité home studio, 150 euros environ). Penser à se procurer aussi une bonnette (il y a une petite boutique spécialisée micros en haut de la rue de Douai à Paris, la seule à ma connaissance).
Souvent, on nous propose un « sans fil » : sauf que le matériel neuf de qualité est inaccessible, et que l’inévitable téléphone portable du goujat dans la salle sonnera dans le circuit. Je préfère toujours mon micro à câble XLR que le « sans fil » qu’on me propose, à moins d’un lieu d’excellence. Exiger un pied : on ne peut pas tenir à la main et le micro et le livre, ça paraît bête mais mieux vaut s’en enquérir en amont. On m’a parfois proposé de lire avec micro cravate : le son est très bon, mais pas possible de moduler – d’autre part, très perturbé par l’absence de repère spatial immédiat.
Conclusion : tout cela s’apprend, à chacun sa solution, mais quasi obligatoire s’en charger soi-même.
2 ter
Corollaire : la captation audio ou vidéo est si facilement possible (et même de brancher votre ordinateur sur la console) – mais à condition qu’on le demande, et qu’on le prépare. Et pensez aussi que le matériel d’enregistrement a évolué : à vous de vous constituer vos archives sonores, une réserve décisive pour votre site Internet. On recommande le Handy Zoom IV (le plus répandu) ou le petit Edirol 09-HR (un peu cher, mais c’est la Rolls). Si vous ne voulez pas acheter en ligne, allez directement dans un magasin de musique pour conseil (la Fnac n’en vend pas).
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De ce qu’on demande à soi. J’ai eu la chance de pratiquer l’étude du souffle bien des années avant d’avoir à lire en public, et sans me douter de l’usage que je ferais plus tard de cette technique. L’usage de la respiration ventrale, d’un porté lent et continu du souffle, se travaille en silence, allongé ou assis, chez soi. Dans l’heure qui précède une lecture la tête est vide, le trac remplit tout, il n’y a plus que la respiration pour garder contact avec le temps : on la ralentit. Il y a des exercices aussi, narines alternées, respiration sanglot, tenue d’une légère apnée en fin d’inspir ou d’expir, qui oxygènent à fond le cerveau. Dans le texte, anticiper les lieux précis de reprise du souffle, qui ne sont pas forcément ceux de la syntaxe : perturbant : moments où un clarinettiste (Sylvain Kassap) passe à la respiration continue. Le souffle d’avant la lecture est ultra lent, et puis soudain on lâche.
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Autrefois je pratiquais des exercices de voix : je crois que je les connais trop mentalement désormais (gamme sur même suite continue de voyelles fermantes a é è i u ou eu o, qu’on décale chaque fois d’un demi ton, ou nasales avec passage à l’octave inférieur, puis descente diatonique sur la même suite de voyelles, na, né, nè, ni, no, nu et tout ça). Lisant fréquemment, je m’en estime souvent dispensé, mais il m’arrive encore de les faire en voiture, si je n’ai pas lu depuis longtemps. En atelier, suis très attentif seulement à maîtrise négative des hauteurs : que celle ou celui qui lit tienne la phrase horizontale, sans intonation, réflexe par exemple de chute sur la fin de phrase. Lisant avec musicien, souvent tendance à jouer l’unisson pour ma hauteur et celle que me propose le violon de Pifarély dans nos l e c t u r e s, des moments d’entente où tout peut aller complètement ensemble. Je n’ai pas assez d’harmonie pour jouer beaucoup des intervalles ou dissonances, des fois je les entends, je les voudrais.
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Il y a une mécanique de bouche. Elle devrait être considérée de nécessité publique, en particulier pour la formation des enseignants. En stage, on reconnaît de suite qui a chanté en chorale. Il s’agit d’apprentissages simples, qu’on garde toute sa vie. La luette s’ouvre en U renversé sur le a, et tend à revenir en V renversé sur les e, i, o, u. Devant la glace, on peut en quelques jours s’éduquer à la garder ouverte en U renversé sur toutes les voyelles. La langue reste à plat dans la bouche quand on détend et ouvre le maxillaire inférieur sur le a, mais remonte en bosse presque jusqu’au palais sur les autres voyelles : en quelques semaines, on apprend à la laisser immobile. Une soprano à la carrière internationale bâillait systématiquement avant de venir au micro, lors d’un enregistrement pour France Musique avec Kasper T. Toeplitz : je m’en étonnais auprès d’elle (« Ça t’embête donc, tellement, mon texte ? ») Mais non, bâiller c’est le moyen le plus simple de remobiliser les muscles en arrière du palais dit cartilagineux. « Remonter » cet ensemble de muscles, de la joue à l’oreille, dégage un espace buccal indispensable. Ces trois exercices tiennent de l’hygiène, du préalable, pour ce qui est de lire : les comédiens ne les savent pas, ils passent en force, par l’intonation. Les chanteurs (enseignement autrefois de Bernadette Val et Nicole Juy), commencent par cela.
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Les consonnes font le rythme. La netteté d’un rythme, lorsqu’il s’agit d’un batteur, détermine une personnalité par ce seul toucher bref du son. Je fais systématiquement pratiquer en atelier l’exercice qui consiste à dire, mais selon tempo cadencé, au métronome s’il faut, et avec l’intonation propre au texte, les consonnes seules. Ainsi le début de ce paragraphe se lit : L K S N F L R M - L N T T D R M, L R S Q L S J D B T etc… Je tiens à ce que cet apprentissage devienne automatique et courant. Il a le génie de rendre les consonnes autonomes avant de les laisser se recombiner dans le tempo ou le rythme qu’on souhaite pour la phrase. En atelier, le réflexe ordinaire est de lire n’importe quel texte à tempo fixe, de son début à sa fin. Passer à des flux différents de vitesse nécessite une intervention volontaire, l’exercice des consonnes en est un préalable.
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Je n’aime pas « répéter ». Une lecture se donne du premier coup. Reste que la mise en place au moins mentale du texte est un préliminaire nécessaire. Savoir ce qu’on lit (ou, encore plus précisément : pourquoi on le lit), c’est l’architecture intérieure du texte, ses rythmes à échelle de phrase, à échelle de paragraphe, et dans la recombinaison des unités larges. Certains soulignent ou annotent, personnellement non. Mais ma perception plastique du texte est mûre longtemps avant la lecture. Quand Valère Novarina lit avec le texte à plat devant lui, et non pas livre ou feuille tenue oblique ou verticale (et nous lui avons tous emboîté cette renverse), il y a une conduite du souffle, qui n’est plus interrompu par l’obstacle du texte tenu, mais il y a aussi cette affirmation : nous ne mémorisons pas le texte, nous le lisons, mais cette lecture est préparée de telle sorte qu’il s’agit juste d’une reconnaissance à vue d’une partition.
7 bis
Corollaire 1 : astuce des pianistes (cours de déchiffrage), l’œil est toujours 4 ou 5 mesures avant celle que jouent les mains. L’indépendance des mains tient aussi à cette anticipation de l’œil. De même, je demande (et cette pratique pour moi devenue réflexe) qu’en lecture l’œil soit systématiquement en avant de ce qu’à l’instant on prononce.
7 ter
Corollaire 2 : si j’entends un texte à moi, même ancien, lu par quelqu’un d’autre, je saurai immédiatement, même sans me souvenir de la version exacte, si à tel instant une phrase a été changée ou un mot permuté ou sauté. La mémorisation inconsciente d’un texte écrit, lu ou entendu une seule fois, va de toute façon bien au-delà ce dont on s’imagine disposer. Il y a certains textes (passages de Rabelais, poèmes de Baudelaire) que je suis capable de réciter, et l’exercice est important. Mais il n’y a pas pour nous de lecture qui ne soit pas oscillation entre le déchiffré et le su. Cette oscillation permet d’anticiper, de stopper le déchiffré pour jouer d’une cadence mémorisée, puis reprendre. Cette souplesse, s’en faire un appui. En atelier, lorsque je lis le texte d’un participant, je le découvre, mais mentalement je peux me concentrer, dans le temps même de la lecture, sur la mise en mémoire tampon d’une phrase après l’autre, que votre propre voix récite alors comme un texte su par cœur de très longtemps, tandis que vous vous concentrez sur la mémorisation du paquet suivant. Je ne ferais pas cet exercice dans une lecture publique, mais suis sûr qu’il contribue à ma grammaire de la lecture en temps réel.
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Ai toujours été surpris par la façon d’occuper le temps des musiciens. Et aussi qu’ils apportent systématiquement dans la loge, avec leur instrument, leur tenue de scène. Si j’en ai la possibilité, j’apporte une paire de chaussures pour la lecture, qui ne soient pas mes chaussures de villes, ou celles du voyage. Se changer est un des rites de passage, et peut-être principalement ce vecteur force : contact sol (souvenir de Michon en chaussettes, de Bernard Noël pieds nus). En littérature, on vous accueille au train, on vous pousse dans studio de radio locale, on vous fait la conversation, il faut souvent insister soi-même pour dire qu’on souhaite voir la salle, installer le son, et qu’on a besoin d’un moment seul. Il n’y a pas de loge en bibliothèques, on vous met dans la cuisine ou on vous prête un bureau. La construction de l’attente par les musiciens est complexe, souvent démesurée par rapport au temps en public. Si on lit à 19h, être dans la salle à 15h. Les danseurs souvent viennent l’avant-veille de leur spectacle : le premier jour juste pour repérer l’espace, sans répéter. Cette façon des acteurs, avant jouer, d’arpenter le plateau, en se chuchotant mentalement le texte ou pas. En lecture je me tiens immobile : mais l’énergie du sol et comment on s’en sert fait que cette place immobile j’ai besoin de la construire, puis l’apprivoiser.
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Qu’il ne soit pas nécessaire de parler du texte avant de commencer à lire. (Haine de ces séances avec monsieur loyal qui vous dit, du fond de ses bonnes intentions : de temps en temps je vous dirai de lire telle ou telle page ?)
9 bis
L’équilibre lire / parler, et du constant franchissement de frontière. Lecture brute : on entre par le texte, on finit avec le texte, on n’a pas de parlé (les cinquante minutes lues de La grande Bretèche de Balzac). Lecture avec moments parlés : j’ouvre par quatre brefs chapitres du Pantagruel, et puis, après les « langues » de Panurge, je parle de qui est celui qui écrit, et comment écrit. Lu parlé combiné : j’ouvre avec extraits de mon Dylan, et suffisamment d’élan un moment pour remplacer le livre par l’approche que j’ai du biographique, et faire se succéder différents exemples de traitement – alors il s’agit plus de l’art du conteur que de celui du lecteur, il me semble que c’est ce que j’apprends aujourd’hui. Conte seul : j’arrive et dis que je vais parler de Michaux, de Proust, de Koltès. Et, parlant de l’auteur, je me saisirai à tel moment du texte et lirai. Il s’agit de quatre équilibres distincts du même rapport au public, qui s’établit dès qu’on entre, et cesse lorsqu’on arrête. La durée importe finalement peu : on peut construire du très dense en 40 ou 50 minutes, on peut tenir 2 heures sur Rabelais ou Dylan. C’est un peu comme la route qu’on fait pour se rendre à tel festival : heure d’arrivée prévue, intuition des changements de gare ou volées d’autoroute – on termine pile aux 1h20 qu’on vous a concédées, sans avoir prévu les temps d’étape.
9 ter
Garder cette notion de points d’équilibre à tension différente, mais d’un bloc qui les contient tous, entre l’instance narrative et l’instance poétique du texte. Les coupes, les élans et syncopes seront traités autrement, mais l’art de conduire le temps serait le même, et aussi inconnu, inaccessible, énigme avec vaguement du terrifiant, quel que soit le texte.
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Secrets. De ceux-là donc je ne parlerai pas. Longtemps, autrefois, je venais lire avec objet fétiche minuscule dans la poche. Depuis deux ans, se concentrer beaucoup sur points d’énergie liés au corps, hors du corps (par exemple, la tension entre celui qui serait à 8 ou 12 centimètres en avant du nombril, et celui qui serait à 35 centimètres en arrière de l’épaule gauche : avoir pratiqué parfois lecture entière dans la seule perception de ces deux points, arriver à ce qu’ils puissent vous soulever presque à lévitation.
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De la façon qu’on a d’oublier tout : lisant un auteur, ou parlant d’un auteur, le fait qu’il occupe à pleine intensité votre totalité mentale, seule construction, seule recette. Ou lisant son propre texte : jamais sûr que le mot suivant soit à hauteur de celui qu’on vient de lire, (et penser à l’histoire de Borges, Pierre Ménard auteur du Quichotte) on réécrit à mesure son propre livre, même le relisant à l’identique. Epuisant. Se préparer à, accepter cet épuisement.
11 bis
Les slammeurs mémorisent le texte et disent par ceur. Au point où j’en suis de 20 ans de performances Rabelais, j’en suis à 50/50 entre mémoire et texte lu, et je peux jouer de cette frontière. Mais sinon, longtemps, papier en mains. Pas sur pupitre qui vous cache la moitié de la figure. On a tous vu aussi des poètes au geste majestueux jetant leurs feuilles à mesure que lues. Depuis l’été 2008, j’utilise sur scène une Sony PRS-505 et je m’en félicite : visibilité impeccable, navigation au bouton. Pour mon usage personnel j’ai une PRS-600 tactile : impossible s’en servir sur scène, la navigation, bien meilleure en usage privé, est quasi inutilisable en public. Ça n’enlève rien à la machine, mais si vous comptez utiliser un eReader pour vous débarrasser du papier en lecture (260 grammes en main, et le tourne page au pouce seul...), y penser avant achat !
11 ter
Ce qu’on peut apprendre des musiciens, mais que l’écriture ne porte pas d’elle-même, pour la tension intellectuelle qu’elle inclut en amont dans son exercice : la faculté d’abandon. Ce qu’on peut aprendre des acteurs : leur faculté à dormir ou s’absenter avanc la scène. Ou bien : que l’abandon se construit aussi. Bob Dylan, à la question : « C’est quoi, pour vous, le rock’n roll ? – Carelessness. »
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Imposer le dépouillement. Lire débout. Démonter la perche du micro et visser la bague directement sur la partie droite du pied. Exiger un éclairage. Virer les plantes vertes. Ne pas supporter les tables. Refuser le « lu par un acteur ». Qu’on vous offre de l’eau, mais pas besoin pour autant de carafe du réfectoire municipal. Savoir comment résonne le plancher ou l’estrade si on tape du pied, le mur si on s’y cogne.
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Qu’un Koltès, à tel moment, puisse être derrière votre épaule, qu’on sentirait son souffle dans le cou. Qu’au fond de la salle glisse la silhouette mince de Michaux : on appelle des fantômes, les craindre. J’ai souvent souhaité lire avec crâne, comme ces vanités d’autrefois : je me suis procuré un crâne, je l’ai dans mon bureau. Je ne l’apporte pas en lecture, où il me semble que tout accessoire deviendrait parasite, mais les jours qui précèdent la lecture, et même emballé là parmi les bouquins dans un carton à chaussure, il est présent. Convoquer les morts.
AUX ACTES ! en accompagnement d’extraits de textes lus ce samedi 15 mars à la médiathèque de Lorient avec Dominique Pifarély, mandoline électrique, violons, et François Corneloup, saxophone baryton
diffusion sous licence Creative Commons CC-BY-SA
1ère mise en ligne 17 juin 2008 et dernière modification le 21 janvier 2010
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