autobiographies #10 | par les champs par les grèves

Devant la splendeur du soleil couchant, elle arrive. Avant, elle se sauve du salon comme une jeune fille en profitant de l’occupation des hôtes avec un voisin. Découvrir ce couchant, au bout du chemin dans le parc, une vue incroyable, dit-on, c’est le moment, en lisière des arbres, le disque, rapproché comme une lentille géante, obstrue l’horizon. Que comprendre ? Que prendre ? Elle s’assoit, le dos appuyé à un chêne, elle est arrivée au bout du bout, maintenant, que choisir, en face de ce qui la met en demeure de choisir, une première partie de sa vie derrière elle, et devant ? que comprendre ? que prendre ? C’est un rideau qui se baisse ? Elle peint sur un tissu imaginaire l’énigme, à déchiffrer mais rien ne vient, elle ferme à demi les yeux, elle frissonne et se chauffe à l’astre mystère, son arrivée au bord de la terre ne sera jamais expliquée et se reproduit régulièrement, se reproduit régulièrement dit-on, certains automnes, arrivée au bord de ce bord, où se tourner ? Recommencer sa vie au mitan, dépassé même, et s’installer en Suisse, tenir un magasin de produits bios, ou… disparaître, céder, s’abandonner, sentir ses forces décliner et lutter le corps contre l’âme Elle est toute petite, éclairée comme certaines branches d’arbres : sans qu’on sache pourquoi, telle branche, telle feuille, d’une lueur cuivrée qui va prendre vie et enflammer le bois, elle note tout, l’étrange oranger de l’astre, sa pose dans le champ, sur la terre, il n’a pas de base, il est stationné là et regarde, cet à-plat rond qui obstrue l’horizon… et n’envoie nulle pensée ni songe, rien, juste sa présence indue, son réel énorme, pesant son once d’or, dans l’instant. Elle se remet debout, et accourt, comme les autres, voir le fameux soleil pas couché du tout, plutôt tout en défi, roi lion qui se rapproche à l’extrême, va dévorer, elle est enthousiaste, comme les autres qui l’ont précédée, qu’on a invité à aller voir le phénomène du château et des champs. Elle s’approche du banquet improvisé. Les autres sont déjà verre dans la main, à tu et à toi devant ce monstre levé et placide sans aucune intention, simplement là, monstrueusement là. Ils forment un ballet d’ombres chinoises, la Caverne recréée, dans un poudreux scintillement de noir et d’or. Rapidement elle est déçue de leur amusement poli, à l’égard de cette pièce organisée pour eux ce soir, eux que rien n’étonne, tandis qu’elle, elle virevolte, elle est jeune, elle n’a pas besoin de soleil caché ni ostentatoire, elle resplendit simplement en dedans comme lui en dehors, elle éclaire comme lui des branches d’êtres, et elle se sent attirée par cette boule d’énergie en vis-à-vis qui est elle et ne l’est pas, étrangement puissant semblant dire quelque chose, mais quoi, qui s’évanouira au soir. Ils vont finir par passer les barbelés et s’éparpiller dans les blés, tandis qu’elle ne cesse de s’élancer, elle s’élance vers lui, en fait, ce qu’elle croit élan, elle trébuche, en profite pour exécuter une sorte de danse histoire de, elle n’a jamais vu cette sorte délire cosmico-terrestre, bien réel, et pourtant elle en a vu des choses, elle est ridicule, c’est ainsi qu’on doit la voir, elle est passée, elle est ternie, elle n’a de soleil en elle que froid, elle aurait voulu assister à cette représentation jeune, elle y aurait vu une promesse ou une malédiction, là il n’y a plus rien à présager, d’ailleurs elle le trouve là piteux, grimaçant, jouant la comédie d’un vieux sage placide et quelque peu menaçant, la chaleur qu’il émet est trompeuse, elle se tord le pied, elle glisse au sol, vieille chose, au sol, le soleil lui entre dans les yeux, pas de survie. Sauf une lueur de plus sur une feuille.

2 commentaires à propos de “autobiographies #10 | par les champs par les grèves”

  1. Belle évocation de la jeunesse d’un être et de l’éternité d’un astre ou de la jeunesse d’un astre et de l’éternité d’un être. Merci.

    • Je suis très touchée, merci pour cette interprétation élogieuse, dont j’aime beaucoup l’idée…