#été2023 #04bis | sept fois le onze mars

La première fois c’est au petit matin, la nuit vient de commencer que déjà elle s’efface. Pour Elle en souffle court puis lent puis brutal puis doux, pour Lui en attente et crainte et espoirs, pour Eux en drôle de rêves avec les rires d’abord un peu nerveux, Ils sont chez les voisins ou chez les grands-parents à l’autre bout du quartier, la fatma Les a amenés là-bas quand Elle a commencé à haleter bizarrement en serrant son gros ventre sous la robe légère qu’Elle ne quitte plus depuis deux mois. Et puis j’arrive, un peu glissante entre les mains expertes du vieux docteur et de la jeune infirmière aux mains teintées de henné. Je crie pas mal, il parait, en concurrence moins mélodieuse au muezzin qui entame la journée de ce onze mars, le premier.

En deuze je mets la cinquième fois, celle des mains gelées toutes rouges, celle du grand sourire mouillé de stupeur avec les doigts qui brûlent alors qu’ils sont tout froids, celle des rires aux éclats devant le ciel tout blanc, celle d’une poursuite en manteau de laine et godillots raides trempés, après Eux qui s’élancent et glissent et rient aussi, fabriquant des boules glacées qui s’éclatent en giclant contre les dos les manches les jambes jusqu’à la voiture et là non stop il faut pas l’abîmer, qui a mis du gravier dans la neige ? on joue plus, Papa râle, il est temps de rentrer de Font Romeu à Argelès y a une trotte, on a un gâteau à préparer, elles sont où les bougies, dis Maman ?

En trois c’est la fois de la terrasse et son petit fauteuil de bambou et rotin. De là je peux guetter, c’est vendredi Il va bientôt rentrer. D’abord j’entendrai la voiture qui longe les immeubles du Cours de Chazelle, ça résonne dans l’air du soir, c’est toujours au moment où la ville va s’assoupir dans le début de soirée qu’il arrive enfin.  La R16 tourne là-haut, descend la rue et glisse vers la maison. Dans un rêve de joie mal contenue, je distingue déjà son sourire derrière le pare-brise. Il se gare attrape sa valise sur le siège arrière claque la portière me regarde traverse en riant, je suis déjà dans l’escalier « Maman maman, Papa est là ! ». On est quatre dans le couloir Ils me laissent passer aujourd’hui c’est moi qui ai le droit d’ouvrir en grand – il fait froid dehors vite referme ! Il me prend dans ses bras, « Joyeux onze mars ma bichette, tu as encore grandi ! »

Il y a en treize l’idée d’un essai, d’une première fois : croire qu’on va rire et danser tout prévoir, ne rien laisser au hasard. Alors être déçue forcément Ils ont pourtant été au top prêté les disques mis des lumières qui clignotent mais le garage entre son établi à Lui et son lave-linge à Elle ça fait pas forcément le bon spot pour que s’embrassent les teenagers en rollers.

Une autre fois c’est aux Antilles l’hiver a été long loin des frangins des matins de givre des familles des ami.es. Les derniers mois sont les plus lents de ces trente ans qu’on ne fêtera pas, trop de tracas – ça rime avec accras, la désillusion. Sous les Tropiques la misère du cœur n’est pas plus douce qu’en Bretagne.

La dernière fois c’était avec les potes les fistons la magie qui opère les livres sont là aussi la pile s’élève autant d’années passées que de lectures en vue, ça promet, merci. Et le soir trouver une jumelle de date de lieu et d’écriture, la joie !

Cette fois le onze mars, voilà. Il y en aura d’autres, peut-être, « si Dieu veut », « inch Allah », jusqu’au dernier, que je peine à imaginer. J’y pense trois-cent-soixante-quatre jours en avance, chaque année.

A propos de Gwenn Abgrall-Servettaz

Après quelques décennies de balades, lectures, gamberges, création de famille ou d'entreprise ... se dire qu'on peut réaliser ce fameux rêve d'écriture, nourri en secret mais trop vaste pour rester tapi en soi, puis oser le rendre publique. Voici quelques tentatives de tracer lignes et croisements entre vies quotidienne, familiale, amicale et imaginaire... work in progress, donc.

10 commentaires à propos de “#été2023 #04bis | sept fois le onze mars”

  1. Notre chère voisine en a marre des 11 mars. Elle les trouve de moins en moins drôles, elle en a déjà 99. Il est encore loin ton dernier, Gwenn.

  2. Merci pour cette traversée. J’aime beaucoup la manière dont le texte se resserre à mesure que l’on revient du passé.

  3. Joyeux 11 mars donc, avec retard ou avance selon, ça fait une belle tranche de vie tous ces 11 mars…