#doublevoyage #11 | en forme de fin

           Une maison qui se vend, un déménagement, et puis l’on se dit Tiens, serai-je donc infidèle à ce que j’ai vécu, aurais-je oublié qui je fus, n’y a-t-il pas dans l’air bleu quelque chose ou quelqu’un qui appelle et qui me pousse ailleurs ? Moi qui me pensais maître de mes allées-venues, serai-je, sans le savoir, en quête ?

           Alors, la tête dans les mains, on songe, et le passé défunt renaît.

Peut-être, Toulouse me manquait.

 Peut-être que là-bas — le là-bas éternel de l’exil — une des autres moi-même, la plus sûre, celle du premier front, m’attend. 

 Peut-être avais-je, de nouveau, besoin de reconstruire. Dans ma tête, comme un effondrement.

Revenir sur mes pas qui arpentaient la ville pour que dans la chair elle s’inscrive. Dans la chair, qui pourrait la voler ? L’enlever, la faire disparaître ? Les yeux bandés, la reconnaître. Ici la tourelle dans une sombre maison de la rue Peyrolières, ici l’arrière-cour où l’on tua le duc, les jardins du beffroi au dos du Capitole, ici rue Rémuzat et le petit hôtel où nous avions logé avant la rue Saint-Rome, ici la place des Carmes et le bar au flipper, là, en baladant avenue Alsace-Lorraine, la première glace à l’italienne, la première noix japonaise, la première pogne, la première, la première, la première.

C’était chez moi, et j’en étais partie sans en être chassée, pour répéter l’exil. M’en guérir une bonne fois, retourner à Toulouse. M’installer.

— Te has ido.

— Je peux faire demi-tour.

— Esto es inutil.

— Mais pourquoi ?

—No me he olvidado de los campos de Castilla. El exiliado no olvida nada.

Conmigo váis, mi corazón os lleva !

me habéis llegado al alma,
¿o acaso estabais en el fondo de ella ?

vous êtes en moi, mon coeur vous emporte !

vous êtes parvenus jusqu’au fond de mon âme
ou bien vous étiez là, peut-être, tout au fond ?

Antonio Machado (Campos de Castilla—1912)

5 commentaires à propos de “#doublevoyage #11 | en forme de fin”

  1. J’entends dans votre texte toute l’étrangeté de la fin du voyage. Comme la fin de l’altérité qu’on regarde finalement depuis la sédentarité comme l’extraordinaire expérience d’être un ailleurs pour toujours. Merci de l’exprimer avec autant de poésie. Je lirai vos 10 premiers.

    • Merci, merci pour votre lecture. Je viens de mettre en forme le petit texte (65 pages) de ce double voyage. Je peux vous l’adresser par e-mail, en pdf, si vous le souhaitez. Il s’agit bien là d’ « un ailleurs pour toujours ».

      • Avec plaisir pour l’envoi! Y a t il un moyen de vous communiquer mon mail mais pas dans les commentaires?

      • Merci ! Votre adresse mail est associée à votre commentaire. Je vous envoie le pdf à cette adresse.

      • Avec plaisir pour l’envoi! Y a t il un moyen de vous communiquer mon mail mais pas dans les commentaires?

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