#40 jours #01 | c’est triste

Je vis sur un petit plateau sur l’une des collines de la ville. Un plateau c’est plat, facile pour marcher sans s’essouffler, se déplacer, faire les courses, s’arrêter pour dire bonjour aux voisins, aux commerçants, aux amis. Quand j’en sors, je le fais à contre-cœur, surtout si c’est pour aller vers la droite, vers l’école où je travaille, à contre-cœur aussi. Dix minutes de trajet, trop court, trop rapide, je traverse la forêt, j’examine les arbres, les talus, je vérifie si l’herbe a poussé après les dernières pluies, je m’approche de ma destination, me dit qu’un jour je m’arrêterai pour aller au café aux chaises rouges qui ouvre ses portes vers sept-heures du matin pour recevoir les premiers clients, des ouvriers, des dames avec leurs chiens, des retraités. Après l’école, je fais le chemin à reculons, ce qui est toujours plus facile, et reviens au point de départ. Parfois, je descends en ville, comme si je n’y habitais pas. Descendre en ville cela veut dire, la plupart du temps, aller sur le plateau suivant, un peu plus bas, mouvementé, plein de touristes, de bruit constant de voitures, mais c’est encore un plateau, agréable quand on en connait certains recoins, comme des terrasses de maisons pleines de pots de fleurs et de treillis verts, surtout une qui me fait rêver.  Si je me sens hardie, je descends encore, vers la vallée, c’est-à-dire la partie basse de la ville, puis je descends vers le fleuve et là, à moins que je prenne un bateau pour aller sur l’autre rive, je ne peux plus aller plus loin. Revenir sur mon plateau cela veut dire retourner au village, entendre le clocher de l’église, retrouver les bruits tranquilles et familiers, rentrer chez moi et, de ma fenêtre, redécouvrir le monde à mes pieds. Vu de loin, il est très beau.

A propos de Helena Barroso

Je vis à Lisbonne, mais il est peut-être temps de partir à nouveau et d'aller découvrir d'autres parages. Je suis professeure depuis près de trente ans, si bien que je commence à penser qu'autre chose serait une bonne chose à faire. Je peux dire que déménagement me définirait plutôt bien.

21 commentaires à propos de “#40 jours #01 | c’est triste”

  1. « Descendre en ville », « monter au village » comme ces mots résonnent. Merci Helena. Si vrai aussi quand «  je ne peux plus aller plus loin ».

  2. Merci, Ugo ! Surtout d’avoir souligné des choses auxquelles je n’avais pas pensé. Écrire vite c’est un défi et un lâcher des amarres !

    • Oui, c’est exactement cela ! Merci de votre lecture et d’avoir si bien dit !

  3. Oui, Helena, écrire vite et de suite, contrairement à ce qu’il nous oblige à faire d’habitude… On est d’autant plus surpris du résultat, de relire ce qui s’est écrit. Beaucoup aimé cette promenade, le café aux sièges rouges m’a appelée, et le final est doux comme la balade elle-même. Une certaine nostalgie.

    • Merci, Anne. Oui, c’est un exercice absolument nécessaire pour moi, qui ai besoin de tout lire et relire, de contrôler, en fait. Là pas possible ! Et c’est très bien.

  4. aller, aller encore, te suivre, partager tes chaises rouges de plateaux en plateaux. La ballade était belle. Fort belle. Merci

  5. (j’ai retrouvé, sur la gauche, là, sur la place vers le fleuve, j’ai retrouvé hier l’image du libraire qui parle tout seul) (j’aime aussi les chaises rouges) (trop bien)

    • Du libraire qui parle tout seul?
      Par contre, il y a une photo du livre que tu m’as offert que j’aime beaucoup, c’est celle d’un homme seul à une table de café plongé dans la lecture de ses papiers.
      Contente que cela t’ai plu !

  6. beau ce déplacement que tu accompagnes, on te voit traverser la ville, toucher les arbres, merci de nous emporter

  7. Votre Lisbonne en dentelle d’émotion, bonjour et merci Helena, ( j’ai pensé à une de nos errances touristiques où la redescente m’a donnée cette impression d’être envahie, de laisser derrière moi le principal )

  8. Un zoom arrière tout empreint de saudade…
    Merci pour ce Lisbonne à vous si familier.

  9. Vrai on a envie de faire le chemin nous aussi sans regret de ne pas aller plus loin… Merci

  10. Merci pour cette balade, je reconnais les frontières invisibles qu’on surprend soudain, en réalisant que notre monde fait quelques rues, on pourrait étouffer – on étouffe parfois – mais le retour est toujours le même, quelque soit le voyage, on ne regrette jamais d’être rentré chez soi.

  11. C’est tout à fait cela ! Merci d’avoir si bien dit et merci surtout de votre retour !