40jours #24 | rupture assistée

Il l’attend mais elle ne vient pas, elle est en retard ou elle lui en veut, il n’ose pas envoyer de message, il pense qu’elle fait toujours la tête, il ne sait plus quoi lui écrire, il tape Tu et le téléphone lui propose tu as, tu es, tu veux. Il pense de quoi je me mêle mais comme il est faible, il prend les mots que l’appareil lui souffle dans sa main Tu veux pas me voir mais je sais que c’est pas possible. Il a déjà écrit ces mots, peut-être pas dans cet ordre là, il trouve ça trop frontal, il a honte et il efface. Tu veux pas venir chercher le meuble de cuisine et je te ramène ? Déjà tenté, échec cuisant. Ça le met mal à l’aise que l’appareil se souvienne de ce message, de toute ses forces il l’avait oublié, sa phrase à lui et sa réponse à elle. Il enlève le veux et il garde le tu. Tu as. Tu as fait. Tu as fait l’amour à ma vie. Pas le moment de faire le malin. Tu as fait un virement sur le site de paris ? Il ne lui a demandé qu’une seule fois, peut-être deux pas plus et il l’a toujours remboursé, son téléphone devrait le savoir, il n’aime pas ses sous-entendus. Tu as vu le mec dans le noir. C’était son idée à lui d’aller en club. Il aimait s’en vanter, avant de s’en inquiéter, avant de se torturer le ventre en s’inventant des histoires qui l’excitaient et qui lui faisaient peur. Tu as vu ça te fait plaisir de me voir le week-end. Ce ne sont pas ses mots, ça remonte à loin, elle lui avait tiré les vers du nez et il avait avoué, ils en avaient ri, bientôt ils se verraient tous les jours. Tu es dans quel coin, je suis là. Celui-ci, il l’envoie. Elle répond vite, elle dit qu’elle ne viendra pas, qu’elle lui a déjà dit, qu’il devient lourd. Il écrit Tu me, l’autre finit vois quand même, tu me vois quand même, c’est ce qu’il voudrait au fond, rester dans sa tête quoi qu’elle fasse mais jamais il ne l’écrirait, il s’inquiète de voir cette chose parler pour lui et se livrer sans décence. Il écrit pourquoi tu, lui pourquoi tu me dis ça, c’est pas toi, elle lui demande d’arrêter, c’est ce qu’il voudrait mais pourquoi tu veux pas me voir tu me dis tu me racontes ça quand même je suis là je te dis ahah mais je sais que c’est toi ça me va bien je t’aime. Elle répond qu’elle ne comprend pas et lui panique, il dit des Non non non à voix haute et les gens autour, sur la petite place où il attend, le regarde secouer son téléphone mais c’est trop tard ça te dérange pas si je t’appelle tu vas bien je prends ma voiture bisous mon amour bisous mon petit chat Elle l’appelle, surement pour comprendre, surement pour lui hurler des non mais ça va pas non mais la chose ne veut pas répondre bisous bisous à bientôt je te souhaite une bonne nuit je t’aime fort mon amour bisous à tout ce qu’on a fait je t’aime ce n’est pas lui mais ce sont ses mots, elle dit qu’elle regrette mais qu’elle va le bloquer, que ça aurait pu finir autrement, que ça aurait pu être plus joli que ça, il est d’accord mais il envoie ce n’est pas ce que tu aimes, ce n’est pas ce que j’espérais, ce n’est pas ce que tu as fait pour nous. Elle ne répond plus mais il n’arrive pas à regretter. Au fond, il n’aurait pas mieux dit que son téléphone.  

L’auteur remercie son Iphone et son clavier intuitif, pour son aide précieuse et terrifiante.

A propos de James Hardy

Auteur imaginé par un scénariste de télévision. Le premier n'écrit pas assez au goût du second qui, lui, travaille principalement pour des programmes jeunesses. Tous les deux font des fautes mais se trouvent toujours des excuses.

7 commentaires à propos de “40jours #24 | rupture assistée”

  1. Merci de me faire rire malgré ce moment douloureux. J’ai l’impression d’être à l’aise avec tout ce qui s’échappe par le sol mais il faut bien que je prenne les mesures pour éviter de faire des choses bien plus importantes pour moi. La deuxième phrase est de mon correcteur. Il n’a rien d’autre à ajouter…

  2. Merci James, j’ai adoré, la tendresse, le désarroi, l’emballement, et les mots qu’on aimerait dire ou pas dire, qu’on laisse partir, et tant mieux si c’est la machine qui décide parfois. Moi aussi, j’écris, j’efface, je ferme les yeux et j’envoie, le coeur battant. Secouer mon téléphone non jamais mais l’engueuler oui, ça oui ! Bravo et à bientôt.