#40jours #36 | en Arles

Souvenirs d’un certain mercredi 18 août… 10 heures 38

– Pas de photo, me dit avec le sourire une femme en noire, cigarette à la main, devant le
panonceau « interdit de fumer » à l’entrée du cimetière, mis en service en 1784.

Une première poubelle ronde d’un mètre de haut, verte, trouée en sa partie supérieure par sept rangées de trente trous, dimension pièce de 1 € pour une demi-circonférence, donc ne pas omettre de multiplier par deux. À cela ajouter pour la même partie supérieure six rangées de trente trous façon rondelle d’un diamètre de 2,50 mm par demi-circonférence ; je vous laisse faire le calcul pour cette partie supérieure.
Il ne faudra pas oublier la partie inférieure où là vous auriez vu, tout comme moi, vingt et une rangées de trente trous de 1 € et vingt et une rangée de trente trous de diamètre de 2,50 mn, le tout par demi-conférence.
J’ai oublié ma calculette, prenez la vôtre ; vous me donnerez le résultat.
Donc imaginons n (nombre de) trous par poubelle multipliés par le nombre de poubelles du cimetière, quel travail a eu le poinçonneur des Lilas.

Chut, ne riez pas ; nous sommes dans un cimetière.

Coup d’œil au-delà de la première poubelle observée :
Ici reposent… difficile à lire les lettres ; elles sont vides de couleur.
Mais les mots gravés sur les objets du souvenir restent :
Le temps passe, le souvenir reste ;
Souvenirs (avec un s) d’amitié ;
Souvenir (cette fois sans s) d’amitié ;
À notre amie
Tombeau de la famille, dont la dernière morte, Anne a été ensevelie en 2004. Elle a succédé entre autres à Pierre Honoré, né en 1772. Concession à perpétuité ;

Tombeau de la famille…
Monsieur Fernand a disparu en 1934, Madame Arthemise en 1990… cinquante-six ans…

Collection de prénoms faite dans l’urgence du moment après deux arrosoirs posés là : Jacques, Émile, Joseph, André, Marie, Adrien, Gaston, Louis, René,
Troisième arrosoir, un point d’eau,
Marie, Augustine, Louise, Berthe, François-Xavier-Gustave (pour le même individu), Louis (ex-directeur de « l’’étoile de l’Avenir, photo d’un joueur de boules), Henri, Marie-Thérèse, Jean, Marie-Louise, Gilbert, Francis, Paulène, François, Anaïs, Marthe, Anne-Marie, Louis, Marie, Papé Étienne (en photo à côté d’un énorme tas de bois et de son chien fidèle), Augustine, Eugénie, Gaëtan, Germaine, Colette (partie à 23 ans), Jacques, Henriette, Marie, Henri, Jacques, Suffrein, Victor, Thérèse, Yanick (ange de dix jours en janvier 1954), Henri, Laure, Yvette, Georges, Gaston, Jeanne, Gabriel, Louise, Michel, René,

Une autre poubelle
Arrêt de la litanie des prénoms

À droite, hommage aux spahis marocains — Régiment de marche

Continuer à avancer entre les tombes, dans l’allée goudronnée.

Impossible de ne pas noter, de ne pas transcrire.

« Reçois Seigneur dans ton royaume mon fils Pierre tant chéri qui fut odieusement assassiné par l’amant de sa femme. Qu’’il baigne à jamais dans l’immensité de ton amour comme il fut dans le mien.
Ta mort inattendue a déchiré nos cœurs. Ni le temps, ni l’oubli ne tariront nos pleurs. Tes sœurs et frère ne cesseront de penser à toi.
Toi mon parrain qui fut si bon pour moi je ne puis croire qu’’un jour ton souvenir d’effacera de ma mémoire. Ta filleule chérie. »

Pierre S. – 2 septembre 1972 – Lâchement assassiné à 24 ans

Poursuite de la visite.

Communauté des filles Notre-Dame des douleurs
Mère Henri, sœur Perpétue, sœur Expédit, sœur Marie Ethème
Un lézard entre les plaques
À nos chers parents, à mon père, à papi chéri, à nos chers disparus

Honneur aux zouaves
3ème régiment de zouaves – Et 1ère litanie de batailles — Sébastopol (1855), Grande Kabylie (1857), Palestra (1859), San Lorenzo (1863), extrême Orient (1885)
2ème régiment de zouaves – Et 2ème litanie de batailles — La Grouat (1852), Sébastopol (1855 — même lieu de mort), Palestra (1859 — ils se sont croisés, ont ri ensemble, sont morts ensemble), Paebla (1863), Extrême Orient (1885 — encore et encore)

Ici reposent 76 victimes inconnues de l’explosion de la poudrerie de Beaussencq, le 3 juin 1918 (aujourd’hui, elles ne seraient plus inconnues ; un des experts aurait cherché jusqu’au bout de la nuit, leurs identités). Qui les a cherchés ? Qui les a pleurés ?

Et recommence la folie des nombres de Basile :
Ici reposent 11 colonnes de 4 corps – Puis 5 rangées de 6 noms – Puis 5 rangées de 15 noms – Puis encore 5 rangées de 20 noms.
Que de morts, que d’histoires brisées entassées en si peu de place.

Le temps presse.

Quelques photos — bien qu’interdites — pour clôturer la promenade ou plutôt la visite.

Prélude à des histoires douces et amères à la fois.

A propos de Danielle Masson

L'Ouest de la France quitté depuis plus de 20 ans ... déjà ... pour la Provence Suivre les traces du bon Roi René écrire, faire écrire, partager les mots essayer mais parfois dur, dur !!! joyeuse, enthousiaste à vous lire y apprends tellement

4 commentaires à propos de “#40jours #36 | en Arles”

  1. Superbe dernière photo. Bien relié à Basile. Ingénieux. Un peu d’humour au début. Respect pour proposition bien respectée et évidemment ça donne un super truc ! Merci pour le texte et aussi de me rappeler que respecter la consigne, ça donne de super textes.

  2. j’aime dès le début, la présence de la poubelle, je la reçois comme une perspective brute, sans fard, crue, troublante
    j’aime aussi l’histoire de Pierre
    j’aime surtout la réalité (la vitalité) de cette déambulation au cimetière
    bravo

  3. Très étonnante déambulation dans ce cimetière d’Arles, c’est même incroyable d’y trouver autant d’états d’âme divers, foisonnants, de l’humour à la perplexité, à une forme de révolte contenue, juste dans l’évocation des faits, ces tragiques extinctions de masses sans nom, les travailleurs ravalés au silence comme en fosse commune sans inhumation véritable, comme placés là pour les oublier tout à fait
    Mais vous les réanimez grâce à votre texte
    Grand merci Danièle

  4. je me suis laissée entrainée avec vous dans ce lieu, au-delà de la poubelle verte
    et ça m’a ramenée aux promenades que je fais dans ce même genre de lieu quand je vais visiter ma vieille maman en Bretagne au cours desquelles nous énumérons les noms des disparus de la famille et des récents défunts…
    temps à la fois doux et amer, vous le faîtes bien ressentir…