#40jours#17 | même quand

WILLY RONIS, USINES CITROËN JAVEL – 1938

Il est 10h fatigué, elles sortent plein soleil, les yeux se plissent, sourient, soulagées, harassées, les épaules lasses, le corps pèse, avant que les actifs du jour entrent, elles, petites mains ménage, dos courbés, jambes lourdes, époussettent, aspirent, lavent puis retournent métro RER pause et retour. Inlassablement les jours passent, les jours pèsent, elles gagnent à peine de quoi remplir pleins le ventre des enfants qui se préparent seuls pour l’école, elles, actives des petits matins encore nuits.

Sourire, sourire figé, les clients rois attendent les sourires sinon se plaignent et puis parfois même le sourire n’empêche pas râleries saut d’humeur pleine face, des journées de sourires, les joues douloureuses de trop plein semblant, elle rentre et fatigue sourire à ses enfants qui quémande les sourires vrais les bisous pleins et la fatigue figée empêche de pleinement prendre les peaux douces câlins. Et puis demain recommencement.

Les tables rient elle passe à travers les yeux les voix, un corps qui prépare et apporte à table automate se déplace habile pour ne pas renverser, satisfaire en glaçon, elle dépose sur les tables de quoi remplir, haut noir court, un plateau greffé main passe du bar au tables de la cuisine à la terrasse une soirée de pas ignorés, quelques pièces de reconnaissance obligée, pas tout le temps, le verre trop cher à déjà tout aspiré. Elle s’active autour ils ne la voient pas les rires la traversent, occuper entre soi. Elle s’active autour des chanteuses qui s s’époumonent, personne ne les voit non plus, elles sont des bruits de fond.
Un tablier pour les hommes, un décolleté pour les femmes et des talons obligés dit le patron plus belle jambes mais mal aux pieds dit la serveuse. On s’en moque on fait beau pas confort dit le patron.

La journée finie, elle part, le vigile regarde dans son sac, si elle volait? alors le manager fait vérifier par le vigile collègue que les collègues vendeuses ne volent pas les articles du grand magasin culture A. Je ne sais pas comment l’interpellation s’accepte sans rechigner, pas comment le manager se dit qu’il peut avoir des employés confiance quand il a si peu confiance, quand la honte devant les clients, quand le malaise. Un manager n’a pas compris comment unifier plein son magasin. Les directives d’où ? Qui invente ces humiliations pleines? pourquoi comment s’accommode-elle (on)?

Elle sourit même quand le temps manque elle prend le temps avant pleine lumière même quand le temps manque elle déplace les corps lentement même quand le temps manque elle pose les mains douceur et lave tendresse même quand le temps manque essuie les bouches essuie les vulves les pénis les fesses sans brutalité même quand le temps manque elle regarde dans les yeux elle parle elle explique elle montre que vivant compte même quand le temps manque parce que le temps vivant.

Une mère plus vraiment là, sa mémoire perdue dans l’eau de pluie, ruisselle le long des rires. Elle ne sait plus, laver son corps manger sentir le chemin de la maison. Recueillir sa mère. Les grands quittent, les aînés reviennent. Le nid paille ne prend jamais feu pour qui aime. Ses enfants râlent l’indisponibilité mère. Ils savent mais voudrait autrement. Une maison sans souvenirs pourrait accueillir la mère,les tripes disent tu dois langer celle qui t’a poussé droit. Elle veille la nuit au bruit vigilant comme lorsque les enfants touts petits dépendants. Revenir au début, et si la vieillesse croisait nouveau-né? Elle lave rassure câline mais l’absence, elle ne sait plus qui. Le corps là plus vraiment mère. Prendre soin pour rendre ce que reçu. Les cycles s’inversent. Elle devient gardienne mère. Et si le moment venu, ses enfants l’abandonnaient maison vieillesse ? Qui dit tu as réussi une vie?

Derrière la caisse, un bip continu vrille les tempes. Elle l’entend même la nuit. Un bip pour chaque article défile sur le tapis gris. Et les mains de danser le même mouvement continu les poignets geignent les os craquent en fin de journée presque fossilisés les bras crispés peinent détente. Les yeux vagues polie bonjour merci bonne journée ça vous fera tant, seuls les chiffres renouvelés.
Le matin elle ouvre la porte du vestiaire bleu, glisse son manteau, enfile sa tenue rouge informe chaude l’hiver chaude l’été, les pieds la dépose sur son siège de la caisse n°32 et commence les bips. Elle rêve de soleil vrai face à la lumière aveugle. Bip Elle rêve de course à pied de dune roulée sauvage ensablée. Bip. Elle rêve d’ailleurs mais le loyer payé à coup de bip larvé. Bip. Elle rêve mais reste. Bip. Sa fille a besoin de manger. Bip bip bip bip bip.

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