#40jours #19 | IHU

© L. Humbel, Marseille, 2021

2022 | cas contact direct pharmacie autotest je communique le résultat à qui de droit.


septembre 2020 |

J’ai prévu un voyage à Paris pour aller voir ma mère. Elle n’est pas très vieille, ma mère, mais quand même plus que moi, et elle est si anxieuse. Je décide de me faire tester. Ce n’est pas évident. C’était il y a deux ans. Il n’y avait pas, ou peu de rendez-vous, la seule solution était l’IHU du professeur Raoult.
Mes souvenirs sont flous. Les gens sur les marches quand j’arrive à sept heures – je n’ai pas réussi à me lever plus tôt, pourtant on m’avait dit – je me dis c’est le ouaï ici, en fait pas du tout, les gens s’étaient organisés avant l’arrivée des pompiers, avaient noté leur nom par ordre d’arrivée sur une feuille à carreau, je ne sais plus très bien pourquoi moi pas, ou peut-être que si, ou si c’est les pompiers qui m’ont donné un numéro quand ils ont installé les barrières entre lesquelles nous nous sommes canalisés, ou plutôt, je crois me souvenir, d’abord ils ont canalisé et après ils ont distribué un numéro, et les gens premiers arrivés ont reçu leur numéro dans l’ordre qu’il fallait, en fait peu importe, à la fin j’ai attendu six heures. Debout. Et le soleil tape encore en septembre, et la chaleur vient tôt. Ma collègue m’avait dit : quatre heures. Moi : six. Je m’étais attendu à l’attente. Longue. Mais pas comme ça quand même. Et puis quand on attend on espère que ça ira plus vite. On espère toujours. Il paraît qu’en espagnol espérer et attendre, c’est le même mot. Je lisais Cortazar dans sa traduction en français. J’avais emporté La Marelle. C’est gros. C’est pour ça. Aussi parce que je lisais ce livre à ce moment-là. Je n’ai pas tant lu à la fin, cent pages pas plus en six heures, à cause de l’énervement, à cause de l’attente, à cause des gens. D’abord en bas des marches. Puis en haut, devant la porte. Je rigolais toute seule, je me disais « je suis devant le sanctuaire, et peut-être que je verrais dieu ou ses saints », à cause des apparitions du professeur Raoult dans tous les médias, et de ses cheveux longs façon druide gaulois – qu’on croit, car les Gaulois du midi n’avaient pas de moustaches – ou druide new age – quand je pense à l’attente souvent je pense à un autre livre lu il y a longtemps, mauvais dans l’ensemble, mais dont j’ai retenu la chose suivante : on passe sa vie à attendre. Car on connaît l’issue. Là la première issue c’était, après une attente dans la cour –d’abord le long d’un mur assez bas, puis un peu à l’ombre, le long du bâtiment – peut-être qu’on avait des numéros finalement, parce que je me souviens d’avoir quelquefois quitté ma place au soleil pour me mettre dans la fine bande d’ombre contre ces parois vitrés – je crois même qu’à un moment je me suis assise, mais que le soleil m’a rattrapée – on entrait dans le bâtiment, mais ce n’était pas fini, que c’était long cette attente quand j’y repense, à l’intérieur je crois qu’il y avait deux portes battantes avec des hublots, mais ça c’était après être passé au guichet, l’institut hospitalier universitaire d’infectiologie de Marseille est un bâtiment neuf, bien dessiné, à côté de l’hôpital de la Timone, le long de la rocade du Jarret, avec un grand trottoir devant, en décembre j’y suis repassé, il n’y avait plus personne devant, un vélo filait sur la piste cyclable, deux passants échangeaient quelques mots, il n’y avait plus cette attente de tous les jours, tout l’été, ils testaient 500 personnes par jour, un pompier m’a dit qu’en été ils étaient montés jusqu’à 700, je me demandais comment il n’y avait pas eu de malaises au cagnard, peut-être qu’il y en avait eu, avec les masques et le soleil, sauf que le masque tout le monde ne le portait pas, et je me demandais si j’avais bien fait, six heures, de venir là, si je ne serais pas contaminée même si avant je ne l’étais pas, j’ai attendu quand même, je suis restée, j’ai attendu une chose précise, qu’on veuille bien me faire un test de dépistage du Covid 19, six heures d’attente il ne se passe rien, tu bavardes vaguement avec les gens autour de toi, très vaguement, tu ne retiens rien, c’est parce que je me force que je me souviens, sinon rien, et voilà c’est mon tour.

A propos de Laure Humbel

Dans l’écriture, je tente de creuser les questions du rapport sensible au temps et du lien entre l’histoire collective et l’histoire personnelle. Un élan nouveau m'a été donné par ma participation aux ateliers du Tiers-Livre depuis l’été 2021. J'ai publié «Fadia Nicé ou l'histoire inventée d'une vraie histoire romaine», éd. Sansouire, 2016, illustrations de Jean Cubaud, puis «Une piétonne à Marseille», éd. David Gaussen, avril 2023. Un album pour tout-petits, «Ton Nombril», est paru en octobre 2023 (Toutàlheure, illustrations de Luce Fusciardi). Le second volet de ce diptyque sur le thème de l'origine, prévu au printemps 2024, s'intitulera «BigBang». Actuellement, je travaille à un texte qui s'alimente de la matière des derniers cycles d'ateliers.

3 commentaires à propos de “#40jours #19 | IHU”

  1. Mais oui c’est tout à fait cela, dans de plein saturé de plein, de vain, de pesant – le livre – le vu, le pris dans la glaise, tout se délite tout s’oublie se détacle, heures vaines – soudain l’évènement final escamote l’ensemblr, comme si cela n’a

  2. Mais oui c’est tout à fait cela, dans ce plein saturé de plein, de vain, de pesant – le livre – le trop lentement vu, le pris dans la glaise, tout se délite tout s’oublie se détache, heures vaines – soudain l’évènement final escamote l’ensemble, comme si l’attente n’avait pas existé