autobiographies #14 | cartographie

Tout n’est rien.

sur une place un dimanche soir d’hiver, des marrons chauds dans un cornet de papier journal, la chaleur au bout des doigts

le long couloir sombre au bas de l’immeuble de trois étages, le cœur qui bat trop vite, les escaliers montés quatre à quatre

sous la table, Le club des cinq entre les mains, la vie tout autour bien réelle, se sentir en sécurité

jupe blanche courte, chemisier rouge, arpenter les rues de la ville, savourer une première sortie en solitaire

face aux autres, les regarder, soupeser l’épreuve, abandonner les feuilles de l’exposé sur le bureau et sortir de la classe

se tenir face à, comprendre que nous sommes au théâtre, et jouer sa partition

il y a quelque chose d’un cloître dans ce jardin d’enfance où l’on n’en finit pas de tourner, de laisser ses pensées vagabonder

comprendre, aux battements de son cœur, que plus rien ne sera jamais comme avant, qu’il n’y a pas de retour possible

des tendresses à donner, recevoir, des bonheurs qui ne se disent pas, mais qui se donnent

des tonnes de linge à laver, à repasser, à ranger, des bouches à nourrir, des chagrins à consoler, et plein d’ histoires à raconter

se sentir au bord en permanence, de la fuite, du geste de trop, du meurtre, de l’abandon, de l’épuisement

aspirer, respirer le moindre filet d’air d’où qu’il vienne, où qu’il aille, se contenter de peu

il y a quelque chose qui apaise la main qui caresse l’écorce en un geste rituel, – qui bénit qui – une sorte d’échange entre peaux blessées

Qu’est-ce qu’une vie sinon ce tangage permanent entre des rives d’ombres et de lumières, ces fatigues qui aspirent et ces moments de joie qu’on ne sait pas toujours reconnaître.

s’immiscer dans les mots, lire, lire, lire et ne faire que ça

près d’une rivière, cadrer ce qui se noie, un reflet, une lumière, un songe, ne plus voir que ce qui se donne

là, dans une ruelle de Venise, la main posée sur un crépi qui s’écaille, sentir les battements de la vie

dans une église, les voix montent et s’approchent, un torrent de voix prend tout le corps entre les sons qui s’élèvent, un Magnificat est chanté

il y a quelque chose de la louange sur ce chemin qui se dirige vers un rocher de granit, pas n’importe lequel, celui de l’enfance, celui des rêveries

hantée par le vent qui traverse, la vue dans toutes les directions, l’immensité du ciel et de la terre enlacées sur le mont Lozère

le cri du ventre sorti, et se dire elle ne sera plus jamais là

la main sur une pierre, un caillou, de la terre, la tête qui s’apaise

le regard d’un tout petit enfant, son sourire, son rire, sa main dans la sienne, manina bella qui se murmure, de grand-mère à grand-mère la boucle va se boucler

se reconnaître dans un tableau Femme dans le soleil du matin, en savourer la paix

le regard flou posé sur ce qui s’évapore, les souvenirs, les êtres, les lieux, les objets, l’horizon, les bouts de pas grand-chose

il y a quelque chose de l’Eden sur cette toute petite berge au bord de la rivière, presque sous le pont aux deux arches, emplie des silences des uns et des songes des autres

Et savoir depuis toujours que tout n’est rien, même si, pendant tant d’années, on a voulu croire autre chose, voulu soulever le rideau de l’invisible, rêver à ce souffle qui traverse les siècles, entendu des voix venues d’on ne sait où, cartographié des ombres. Mais désormais, les cheveux bien blancs, on sait.

A propos de Solange Vissac

Entre campagne et ville, entre deux livres où se perdre, entre des textes qui s'écrivent et des photos qui se capturent... toujours un peu cachée... me dévoilant un peu sur mon blog jardin d'ombres.

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